Chapitre 39

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Éléa

Crâne chauve me traîne jusqu'à une cuisine au sol marbré de taches de gras noires. L'odeur y est presque insupportable et me monte si vivement au nez qu'il me faut faire un effort considérable pour réprimer mes hauts le coeur. Ses gros doigts boudinés laisseront immanquablement des traces sur mon poignet, mais là tout de suite, ce n'est pas ma principale occupation.

D'une brusque poussée dans mon dos, l'inconnu me pousse en avant. Je tombe à genoux dans la crasse et glisse sur quelques centimètres. C'est à peine si j'ose essuyer sur mon pantalon mes paumes toutes poisseuses.

— Ma chère fille... Je suis heureuse d'enfin te rencontrer.

Je me redresse pour planter vaillamment mon regard dans celui de ma génitrice et je suis presque déçue de voir combien elle est belle. J'aurais aimé que le temps n'ai pas été aussi généreux avec elle, mais avec ses longs cheveux aussi blonds que les blés, son visage de poupée à peine ridé et ses grands yeux bleus, elle pourrait encore faire tourner bien des têtes.

— J'aimerais pouvoir dire la même chose, mais ce serait mentir.

Ma mère émet à nouveau ce petit rire de gorge me tire une grimace.

— Nous avons tellement de choses à nous dire, Éléa. Tu devrais t'assoir.

Je regarde d'un mauvais oeil la chaise branlante qu'elle m'indique du menton et décline son invitation d'un simple mouvement de tête. Peu importe ce qu'elle a à me dire, rien de bon ne peut sortir de cette conversation. Je ne peux que la haïr davantage. Elle doit bien s'en douter.

Molly me sourit avant de hocher simplement la tête et de reprendre avec une douceur feinte :

— As-tu une question ?

J'affronte son regard silencieusement. Si j'ai des questions ? Des tonnes. Mais aucune qui pourrait effacer une vie d'absence et d'abandon. Je ne suis même pas sûre de savoir pourquoi je suis ici...

— Non ? Pas de souci. Je vais te raconter une petite histoire et nous verrons ensuite.

D'un signe de la main, elle congédie son gorille et lorsque la porte claque derrière lui, elle concentre à nouveau toute son attention sur moi.

— Sais-tu comment ton père et moi nous sommes rencontrés ?

Je hoche doucement la tête. Il est de notoriété publique qu'ils ont grandi ensemble et se sont liés assez jeunes. Elle avait le choix entre le futur président des Hells et celui des RIP. Elle a choisi le plus puissant. Quant à savoir si elle en était amoureuse... Ça reste à prouver.

Ma génitrice m'offre un nouveau sourire empli d'ironie cette fois.

— Je te parle de la véritable histoire. Pas de la fable que ton salaud de géniteur a fait avaler au monde entier.

Je reste de marbre face à l'insulte. Je ne lui ferais jamais l'honneur de la moindre réaction. Elle n'en vaut pas la peine. Tout ce que je veux, c'est gagner assez de temps pour laisser une chance à ma famille de me retrouver.

— Je devais avoir quinze ans quand ma virginité a été offerte au plus offrant sans que je n'en sache rien. Le contrat signé par mon père pour seulement quelques milliers de dollars a été remporté par le père de Kriss. Nous liant bon gré mal gré pour toujours. Pourquoi moi ? Seulement pour emmerder le patriarche des Hells. Parce que vois-tu, ton grand-père paternel ne voyait pas d'un très bon oeil l'amitié entre Kriss et Baron et il n'a pas trouvé meilleuremoyen de les séparer que de mettre une femme au milieu. Peu importe ce que je pouvais vouloir ou ressentir, cela n'avait aucune importance. Je n'étais destinée qu'à une chose, faire perdurer le conflit entre les deux gangs.

Hell WhispererOù les histoires vivent. Découvrez maintenant