Partie 3 - Tayga

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- Tu as un teint magnifique ! s'exclame bruyamment Joava, la brune qui me maquille. Par contre il va me falloir un paquet de fond de teint pour cacher toutes ces taches de rousseurs !

Je suis installée dans un siège ultra-moderne à roulettes et devant moi se trouve un grand miroir où je peux admirer ma tête et mon regard paumé.

Sur le plan de travail je distingue toutes sortes de pinceaux, tubes de rouge à lèvres, mascaras, et autres divers outils de maquillage pour sublimer toujours plus mon visage.

Les mêmes miroirs sont disposés sur toute la longueur de la salle, chacun reflétant le buste de l'adolescente en face de lui. Elles sont des centaines à avoir été sélectionnées et à se faire bichonner par des mains expertes, nous sommes 500 plus précisément.

Je ne comprends toujours pas ce que je fais là. Pourquoi moi ? Pourquoi sur les milliards de filles de La Société on m'a choisie moi pour participer au Jeu ?

On m'a emmené de force loin de ma famille. J'ai bien essayé de me débattre mais je n'ai jamais été très forte en lutte. L'une des femmes n'a pas mit longtemps à m'immobiliser puis à me planter une seringue contenant un liquide louche dans le bras. Juste avant de sombrer j'ai eut le temps d'entendre Lëia crier, puis plus rien.

Quand j'ai enfin émergé, cette même femme armée - Glory, il me semble - me portait sur son épaule. Puis elle m'a poussé dans cette énorme salle au style épuré et aux dimensions indéterminables, bondée d'adolescentes à l'air tout aussi perdu et paniqué que moi.
Mais ne vous méprenez pas, je n'éprouve aucune empathie : ces filles sont mes futures adversaires.

Depuis que je suis arrivée, une jeune femme ronde et joviale du nom de Joava s'occupe de moi sans toutefois vouloir répondre aux nombreuses questions qui tracassent.

Tu comprendras bien assez vite, ma chérie, m'a-t-elle déclaré en souriant et en secouant la tête, faisant voleter ses cheveux frisés. Je n'ai pas insisté, elle n'avait pas l'air disposé à m'en apprendre plus sur ma situation.

- C'est pas possible d'avoir autant de taches sur le visage, répète-t-elle à l'instant en soupirant.

Je me rétracte et toutes mes émotions jusque là réprimées, sortent d'un seul coup :
- Ne touchez pas à ma peau, peu importe à quoi vous jouez, j'en ai ras-le-bol de votre émission débile et de vos petits secrets bien gardés. Sachez que me fous de votre stupide jeu et, par ailleurs, je n'ai aucune envie de ressembler à un vulgaire pot de peinture alors arrêtez avec vos paillettes en tous genres. Tout ce que je veux c'est parler à ma famille. J'exige de voir ma famille. Maintenant.
- Laisse sa jolie peau au naturel, renchérit sa voisine - une blonde presque anorexique ou le contraire de Joava - en ignorant ouvertement ma tirade, ça donne du caractère à son visage. Et puis pourquoi ne pas utiliser cette originalité pour la démarquer des autres candidates ? Je vois d'ici son Surnom : Freckles.

Je fulmine en silence.

- Freckles ? interroge Joava en levant un sourcil.
- Ça signifie "taches de rousseurs", explique sa collègue, ça lui irait bien tu ne trouves pas ? continue-t-elle comme si j'étais invisible.

J'observe leur échange tout en trépignant intérieurement de rage. Puis, une légère panique me prend au dépourvu, les paroles de la blonde me reviennent soudainement dans la figure tel un boomerang. J'avais oublié ce détail. On va m'enlever mon prénom. Mon seul lien de rattachement à ma famille. Foutus Surnoms sans aucune utilité ! Qu'ils aillent se faire voir.

- Va pour Freckles alors, déclare joyeusement Joava sans prendre la peine de me demander mon humble avis.

Je ne prends même pas la peine de protester. Les récents événements me dépassent. Tout me parait tellement faux, comme si j'allais me réveiller d'un instant à l'autre.

Je me pince discrètement le bras en espérant que personne ne me remarque, mais je ne me réveille pas.

La panique m'envahie pour de bon, tout ceci est bien réel.

J'ai tellement peur. Tellement peur de ce qui va se passer par la suite, j'ai souvent regardé Girlz mais je n'aurait jamais pensé y participer un jour. Ce n'était pour moi qu'une source de divertissement.

Tout ce que je comprends c'est qu'il faut plaire. Plaire à la production et aux téléspectateurs pour rester dans le Jeu.

Je pousse un soupir découragé : je suis prisonnière d'une émission de téléréalité.

Joava finit de me préparer en silence sans que je cherche à l'en empêcher - je ne suis pas d'humeur à me relancer dans un discours qui aura autant d'impact qu'un ridicule coup de vent - puis frappe dans ses mains. Je me sens différente et pourtant elle m'a seulement maquillée les yeux et la bouche. Toutes les têtes se tournent vers elle.

- Nous allons commencer les Portraits, annonce-t-elle d'une voix teintée de dramatisme.

C'est ainsi que, tout le reste de la matinée, nous enchaînons les séances photos.

Ce sont les futurs Portraits, qu'ils diffuseront pendant l'interminable compte à rebours de Girlz.

Un rituel de commencement idiot du Jeu. Avant de débuter chaque saison de l'émission, les portraits des 500 participantes défilent, sur la télé des spectateurs, accompagnés de leur numéro de sélection et Surnom respectifs.

Enfant, j'admirais avec envie chacune des 500 jolies filles sélectionnées.
Maintenant cela me dégoûte, je me rends enfin compte que nous ne sommes que des pions de La Société.
Cette même Société qui croit qu'en réduisant le nombre de femmes de cette planète on réussira à rééquilibrer les deux sexes.

Qui plus est avec cet horrible jeu qui comporte des centaines de participantes pour seulement une ultime gagnante. La seule qui méritera de vivre parmi la Société.

Pendant toute la matinée, je me contente de suivre le mouvement général, comme un robot bien conçut, dépourvue de sentiments et de pensées, j'obéis juste mécaniquement aux interjections des photographes qui se pressent dans la salle.

Toute cette mascarade se termine enfin tandis qu'une véritable peur s'est insinuée en moi, comme un poison.

Je suis terrifiée, paralysée par une seule pensée qui a fait son chemin jusqu'à mon esprit fragile.

Je viens seulement de me rendre compte que personne n'a jamais su ce qu'il advenait des 499 restantes. Les perdantes.

G i r l z (INACHEVÉE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant