Coupables

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Quatre jours passèrent. Quatre jours durant lesquels Frank ne fit rien à part se noyer dans ses pensées. Le cahier était toujours posé sur son bureau, il ne l'avait pas encore ouvert. Il attendait le bon moment semblait il. Le bon moment pour découvrir les écrits de ses prédécesseurs optiques. Il repensa alors à la personne qui lui avait confié le cahier, Madie. Il se dit alors qu'elle ne lui avait pas écrit comme elle avait promis le faire. À ce moment là, il se dit alors qu'il se pourrait qu'elle ait perdu plus de souvenirs entre-temps. Le téléphone se mit à sonner. L'écran affichait "Karl". Frank laissa sonner. Le téléphone se remit à sonner, encore à une fois, Frank ne répondit pas. Quelques minutes après la dernière sonnerie, Frank entendit un bruit sourd venant de sa fenêtre. Un projectile y avait été lancé. Frank avait sa petite idée de qui ça pouvait bien être. La même personne qui avait déjà endommagé sept fois la fenêtre par ses jets de cailloux lorsque son ami ne daignait décrocher son téléphone.
-Que me veux-tu Karl? dit-il en ouvrant la fenêtre prise d'assaut par Karl
-Descend...
-Pourquoi ?
-On va jouer.
-Non, merci. J'ai plein de choses à faire.
-Mouais... tu passeras ta journée à lire des mangas je crois.
-Et alors ?
-Bon, attends moi, je monte.
Frank repensa à toutes les fois où Karl avait mis le bazar dans sa chambre, endommagé ses affaires et dechiré ses mangas.
-Non, c'est bon. Attends moi, je descends.
-C'est comme ça à chaque fois. Tu refuses de venir et quand je décide de te rejoindre, tu changes d'avis.
-Cherche pas à comprendre.
Frank descendit les marches comme si sa vie en dépendait, rejoignit Karl, et tous les deux se rendirent à l'aire de jeu située à quelques mètres de chez Frank. Sur place il y avait quatre enfants jouant au football, ce qui arrangeait Frank et Karl car les balançoires étaient libres. Ils s'installèrent, puis commencèrent à se balancer timidement. Le silence qui régnait depuis leur départ de la maison fut brisé par ces mots de Karl.
-Ça passe vite dix ans...
-À qui le dis-tu !?
-Je mentirait si je disais comprendre ta douleur, mais crois moi quand je te dis que je la partage.
-J'ai compris. C'est ma mère qui t'envoie?
-Elle n'a pas eu besoin de le faire. Je sais que chaque année tu es absent lors de la cérémonie commémorative du décès de ton frère, je le sais car j'y suis chaque année. Pourtant, tu participes à celles de ton père et ta sœur.
-...
-Je vais te dire ce que je te dis chaque année, tu n'as rien à te reprocher... Frank ne laissa pas Karl aller plus loin dans ses dires
-Rien à me reprocher tu dis ? C'est ce que tu dis à quelqu'un qui à laissé son petit frère mourir sous sa surveillance ?
-Tu n'avait que onze ans...
-Et lui, il en avait huit. À ton avis, est-ce un âge pour mourir ?
-Non... mais quand même... cesse de tout prendre sur toi. Personne ne t'en veut pour cela, ni ta mère, ni même Mike lui-même.
-Cesse de parler en leur nom, et cesse de prononcer ce nom. Sais-tu ce à quoi ma mère peut penser ?
-Je sais qu'elle ne t'en veut pas. Ça se lit sur son visage. Comment vivrait elle en ayant du ressentiment envers la seule famille qui lui reste ? Rien de tout ce qui est arrivé n'est de ta faute.
-Tu as peut-être raison, ce jour là, si TU ne m'avais pas distrait, rien de tout ça ne serait arrivé. Le coupable c'est toi, et tu vis ta vie sans aucun remords, comme si de rien n'était.
Karl se tut, se leva de la balançoire, tourna le dos à Frank et se mit à pleurer.
-Tu crois que je ne me suis jamais fait cette réflexion ? Tu crois que je n'ai jamais culpabilisé ? Tu crois vraiment que chaque année je vais sur la tombe de ton petit frère sans lui présenter mes excuses ? Je sais très bien que j'ai ma part de responsabilité, mais je sais aussi qu'on ne peut pas tous les deux sombrer, sinon, il n'y aurait personne pour soutenir l'autre. Alors, je prends sur moi, en me disant qu'à présent, plus rien ne peut être changé. Que l'on a plus aucun pouvoir sur cet incident, et qu'il faudrait continuer d'aller de l'avant. Je pense que c'est ce que Mike aurait voulu. Enfin, c'est ce que je me dis, et je pense que tu devrais faire pareil. Reprends-toi.
Karl se mit à avancer. Il fit quelques pas avant que Frank ne l'arrête.
-Attends.
-...
-Crois-tu en la vie après la mort ?
-C'est quoi cette question ?
-Réponds !
-Ça dépend de ce tu entends par là. Réincarnation ou vie éternelle ?
-Peu importe.
-S'il s'agit de la vie éternelle, donc , enfer et paradis, j'y crois.
-Je vois. Imaginons que j'acquière la capacité de voir comment les gens autour de moi pourraient mourir et que j'aie la possibilité de les sauver, crois-tu que ce serait un cadeau du paradis ? Ou peut-être un cadeau de mon petit frère !?
-Je crois que si tu venais à acquérir une telle capacité, ce serait un cadeau du ciel. Un cadeau censé te réconforter et t'empêcher de culpabiliser à nouveau sur la mort de quelqu'un.
-Imaginons cette fois-ci que l'échec au sauvetage de la personne me coûtait la vie, me conseillerais tu de recourir à ce pouvoir?
-Là, c'est ta conscience qui jouera le plus grand rôle. Vivre avec la mort de quelqu'un sur la conscience ou mourir pour quelqu'un ? Le choix semble évident je pense. Et puis, t'es déjà habitué à vivre avec ce poids sur la conscience, mais là encore, tu ne seras responsable de rien. Mais si tu penses pouvoir le faire, n'hésite jamais à venir en aide à quelqu'un.
-Je suis surpris, je ne savais pas que tu pouvais parler ainsi. Comme quoi, même toi, tu peux dire des choses intelligentes.
-Non mais, tu t'entends parler ? Avec ton histoire bizarre sur le fait de pouvoir voir la mort...
L'atmosphère semblait d'un coup beaucoup plus détendue. Les deux garçons se mirent à rire, ce qui attira l'attention des petits enfants jouant au foot, qui , sans en connaître la raison, se mirent également rire. Au bout d'un moment, quand le silence s'installait de nouveau, deux mots sortirent de la bouche de Frank, deux mots près qu'imperceptibles que personne ne pu entendre.
-Merci beaucoup.
Les deux hommes décidèrent de se séparer sur cette note plutôt positive. Arrivé chez lui Frank fixa longtemps le cahier avant d'enfin se poser et l'ouvrir.

Prochain chapitre : 05/04/2024

Death eyesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant