Putain d'histoire

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00h00

Je l'ai croisée, toi aussi, probablement. Il était tard, l'heure de rentrer chez soi.
Elle était là, je l'ai vue.

Je me frayais un chemin parmi la foule, tandis que la pluie commençait à tomber, ou peut-être étaient-ce ses larmes, je ne sais pas.

Cette femme avait une allure singulière. Son visage, trop maquillé, lui donnait un air de gamine, la fille au masque, voilà comment je l'appelais. Les lèvres rouges, le cœur en sang, elle était prête à faire encore une fois, ce qu'ils attendaient d'elle. Elle le savait, elle n'avait pas le choix, obéir ou mourir, elle devait se soumettre.

« Assure-toi d'être bonne », qu'il lui disait.

Ne vous méprenez pas.
Les putains portent des masques, et les vrais putains se cachent toujours. Les putains de putains sont les plus redoutables ! Ils ont faim de chair et d'argent. Pourtant, personne n'ose jamais les toucher, parce que les vraies putains sont lâches et ont les mains sales.

00h15
Elle se hâtait, elle devait arriver. Ses talons aiguilles résonnants sur le sol, elle échappait à sa vie, fuyant son passé qui, silencieux, grignotait les larmes, les mots, et même le temps. Pauvre fille, pauvre vermine abandonnée.

00h30
La nuit ne ment pas, ou presque. À l'heure où la rue dort, les caresses, elles, aveuglent. Et la fille au masque maniait cet art subtil avec brio. Elle répétait son rôle, dans le lit de cet inconnu, « Cette fois-ci sera la dernière », qu'elle pensait (comme tous les soirs).

Et parce que la vie est parfois trop dure à supporter, elle préférait s'imaginer la regarder. Parce qu'être une putain n'est pas facile à accepter.
T'y as pensé toi, à la honte qu'elle ressentait ?

Comédienne, voilà ce qu'elle avait toujours rêvé d'être. Spectatrice de sa propre vie, elle observait les scènes défiler. Comédie tragique ou tragédie comique, elle savait bien que tout n'était qu'un jeu. Un putain de jeu, pour des putains, exploitées par des putains de putains. Que c'est amusant !

Pourtant, son regard fixe la trahissait, la fille au masque jouait un rôle. Sa vie n'était qu'une subtile mise en scène.

00h40
« Toc Toc Toc » La porte s'ouvre. La maison est belle. Un homme au sourire gras vient lui ouvrir. « Entre ma jolie ». Ouf, pensait-elle, il n'est pas si laid aujourd'hui.
Elle comptait dans sa tête. Un, deux, trois...
Trente, trente et un... Cinquante. Fin.
Celui-là était mauvais.
Elle lui sourit, puis se rhabilla.

00h44
Ce soir-là, la fille au masque jouissait de tristesse et simulait sa joie.

La fille au masqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant