L'air était tiède et épais et un soleil lourd écrasait la ville silencieuse. Les larges avenues bordées d'immeubles déserts baignaient dans une lumière grasse et orangée. Le bitume était fissuré et laissait sortir ici et là une végétation qui reprenait depuis plusieurs années ses droits. Les gratte-ciels qui avaient été des dortoirs n'abritaient aujourd'hui plus que des nuisibles et des ombres lugubres. Les bouches de l'ancien métro s'ouvraient en gueules béantes vers les entrailles d'une terre qui se meurt.
Décembre marchait depuis quelques heures et avait les lèvres gercées par la soif. Elle avait quitté le camp la veille dans la matinée et arrivait enfin vers cette cité qui avait été vidée. De ses mains bandées, elle soulevait les grillages et les décombres de cette ville qui se désagrégeait. En quête de vivres, elle se dirigeait vers un deuxième super marché. Le premier qu'on lui avait indiqué sur sa carte froissée et qu'elle avait visité s'était avéré vidé de toute ressource. Elle étouffait un soupir quand elle passait ce qui avait été des portes vitrées automatiques et dont il ne subsistait que l'encadrement et les débris de verre au sol. Par habitude, elle remontait le foulard sale qui entourait sa gorge jusque sur son nez, pour essayer de filtrer l'air vicié.
Le lieu était vide de toute présence et les étalages renversés sur le carrelage abîmé indiquait que le lieu avait déjà été pillé, et ce à plusieurs reprises. D'une démarche souple et silencieuse au possible, la jeune femme se faufilait entre les rayons couverts d'une épaisse couche de poussière. Ses yeux clairs glissaient sur ce décor habituel, à la recherche de la moindre chose qui aurait pu lui être utile. Dans ce grand dédale, elle se glissait comme un animal, comme un charognard. Voilà ce que les humains étaient devenus.
Accroupie au dessus d'une large étagère en métal, ses doigts attrapaient ce que ses yeux avaient aperçu quelques secondes plus tôt. L'éclat d'une conserve avait attiré son attention. Elle la portait devant son visage pour l'observer. La date de péremption imprimée sur la canette remontait avant sa propre naissance et l'étiquette avait été lavée par le temps. D'un vert passé, on y distinguait quelques lettres qu'il était impossible de déchiffrer. Elle fourrait la canette malgré tout au fond du sac à dos qu'elle trimballait depuis des années, avant de se redresser et de poursuivre son exploration.
Quand elle sortit du lieu, le soleil avait déjà commencé à décliner et sa morsure brûlante de l'après midi laissait place à la fraîcheur d'une nuit glaciale. Son sac s'était alourdi d'une autre conserve, d'un sachet de riz et d'un kit de couture encore sous plastique. Son regard se portait sur l'horizon et elle s'autorisa l'immobilité un instant, et même une gorgée d'eau de sa gourde en inox. Elle devrait dormir ici ce soir là, pour chercher un peu plus loin le lendemain, avant d'entreprendre un retour vers chez elle. Elle du se restreindre pour ne pas siffler l'intégralité du liquide filtré et se lécha les lèvres avec délectation.
Elle marcha encore une demi-heure, à la recherche d'un endroit où passer la nuit. Si la ville avait l'air inhabitée, Décembre savait qu'il fallait être prudente. Sans doute que l'émissaire d'un autre clan errait lui aussi, seul dans ces avenues. Dans un geste réflexe, elle portait sa main à sa ceinture, pour vérifier que son couteau de chasse y était encore. La pulpe de son index caressa les crans de la lame alors qu'elle bifurquait dans une rue plus ténue. Sa silhouette longiligne défilait devant un vieux terrain de sport, dont les grillages étaient recouverts de lianes épaisses. On lui avait parlé du football, comme d'une légende. Après l'effondrement, plus personne n'avait plus trouvé ce jeu pertinent.
Ses bottes se posèrent sur le perron d'un immeuble dont les fondations semblaient encore solides. Elle en grimpa les marches deux à deux, puisant dans ses dernières forces pour arriver au sommet de la tour avant que la lune n'ait pris place dans le ciel. Son souffle était court lorsqu'elle poussait du bout du pied, une porte à demi close. Elle y découvrit un appartement étrangement bien rangé, malgré le désordre induit par le temps qui s'étiole. Elle fit le tour des deux pièces, sa main sur le manche de son couteau avant de venir fermer la porte d'entrée. Dans une chorégraphie qu'elle semblait maîtriser à la perfection, elle vint coincer la poignée avec le dossier d'une chaise qui traînait dans la cuisine. Le loquet de sécurité n'était jamais suffisant, lui avait ont appris. Et à défaut de barrer l'entrée éternellement, une chaise qui tombe saurait la tirer de son sommeil léger.
La blonde déposa alors son sac sur la table de ce qui était le salon. Un râle lui échappait alors qu'elle se laissait tomber dans canapé dont la couleur avait passé. Elle ne prit pas la peine de défaire les lacets de ses chaussures pour les retirer dans une grimace. Instinctivement, elle prit ses pieds endoloris entre ses mains et entreprit d'en masser la plante douloureuse. Elle resta silencieuse un long moment, à tenter de défaire les douleurs qui nouaient son corps, avant d'enfin se lever et de se diriger vers la cuisine ouverte. Ses pieds chaussés d'épaisses chaussettes trouées laissaient derrière elle des empreintes dans la poussière. Elle se hissait sur ses orteils pour observer le contenu des placards et sourit de surprise quand elle découvrit plus de vivres que ce qu'elle avait trouvé dans les deux magasins qu'elle avait visités. Elle du choisir judicieusement ce qu'elle emporterait avec elle et s'autorisa à ouvrir une boite de conserve pour son propre repas. Elle se repu de miettes de thon, dont le goût était fade.
Elle ne se retint pas de lécher la boîte de métal au risque de s'y couper la langue. Son estomac criait de lui en donner encore, mais elle se détournait des ressources qu'elle avait entassées sur la table, à côté de son sac. Curieuse, elle glissait jusque dans la chambre abandonnée. Le lit qui s'y trouvait était large et les draps étaient défaits. Elle jetait un œil dans l'armoire, dont le contenu avait été vidé à la hâte. Des cintres en jonchait le fond et Décembre récupéra des sous vêtements qui loin d'être neufs seraient un judicieux change au camp.
Ses pas finirent par la guider à la salle de bain, alors que l'obscurité avait tout avalé à l'extérieur. Dans une lumière à demi-absente, elle observait son reflet. Se tenait dans la glace, une jeune fille blonde, dont les joues étaient brûlées par le soleil et dont la peau pelait. Les couches de vêtements lui donnaient une allure sans genre et ses cheveux blonds emmêlés pendaient jusqu'à ses épaules. Deux billes d'azur la fixaient. Elle se détourna rapidement pour retrouver le canapé limé pour s'y coucher, en chien de fusil. Son regard ne quittait pas la porte d'entrée et elle s'endormit en serrant contre sa poitrine son arme.
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Un monde d'après
Science FictionDécembre est la seule femme émissaire au sein de son clan. Chaque jour, elle œuvre pour la survie de tous, même si cela implique de dangereuses excursions à l'extérieur. Le monde n'est plus accueillant et les autres êtres vivants encore moins. Mais...