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Aucun bruit ne tira Décembre de son sommeil et ce fut la lumière de l'aube contre ses paupières qui la réveilla. Elle frottait d'un geste las ses yeux tout en se redressant. Son regard balaya la pièce silencieuse et dans laquelle tout était calme et immobile. Elle récupéra son couteau, qui avait glissé le long des coussins du canapé et le glissait à nouveau à sa ceinture. Comme un automate, elle défit les lacets de ses bottes pour les enfiler et les laça à nouveau, son regard flottant dans le vide. Son dos la faisait souffrir et elle s'étirait rapidement avant de se lever et de se diriger vers la table de bois où reposait ses provisions et son sac. Elle entreprit de ranger tout cela, luttant avec les fermetures pour réussir à fermer son bagage. Elle grimaçait quand le hissait sur son dos avant de s'approcher des larges baies vitrées qui donnaient sur la ville en contre-bas.

Les rues semblaient aussi désertes que la veille et la lumière de l'aube donnait à l'ancienne banlieue un air moins hagard et presque joyeux. Décembre ne s'attardait pas dans sa contemplation et se retirait, après avoir remis à sa place précautionneusement la chaise avec laquelle elle avait barré l'entrée. Elle descendait prestement les nombreuses marches qu'elle avait escaladé la veille et retrouvait bientôt le macadam froid et fissuré de la rue. Avant de quitter l'appartement qu'elle avait occupé la nuit, elle avait ouvert la vieille carte de papier et avait observé les emplacements que Gabriel lui avait marqué.


Elle revoyait encore ses longs doigts aussi usés que le papier entourer les lieux d'intérêt qu'elle devait visiter. Comme elle avait suffisamment de vivres, elle avait choisi d'ignorer les autres magasins et ne prévoyait qu'une dernière exploration avant de reprendre le chemin de son camp. Le soleil qui lui faisait face commençait à dépasser les toits des immeubles, si bien qu'elle tournait à gauche à la prochaine intersection, pour se diriger vers le nord. La petite armurerie dont le vieil homme lui avait parlé se trouvait sur une place pavée. Elle se trouvait au milieu de dizaines d'autres petites boutiques. Gabriel avait été pessimiste quand à la possibilité d'y trouver quoi que ce soit, mais quelques cartouches pour leur vieille carabine serait déjà une victoire.

La jeune femme avançait, ses yeux bleus-gris balayant constamment l'horizon, à la recherche de la moindre silhouette ou du plus petit mouvement. Mais le vent était calme ce jour là et même les arbres ne dansaient pas. Une boite de conserve mal installée dans son sac meurtrissait l'omoplate de Décembre qui en faisant rouler ses épaules, cherchait à s'en dégager. Elle tenta en vain pendant plusieurs centaines de mètres et abandonna dans un soupir. Cela attendrait qu'elle s'arrête à nouveau. Elle marchait vite, mais ne se souvenait pas d'un jour avoir marché lentement. Les anciens du camp leur racontaient qu'avant, on pouvait flâner et se laisser aller à une balade de santé. Depuis sa naissance, Décembre n'avait jamais eu à se balader. Elle avait dû marcher et courir pour sa survie et celle des siens. L'idée qu'on ait pu un jour se promener pour le plaisir la faisait sourire.

Elle réfléchissait souvent à ce que devait être la vie avant l'effondrement. Les plus âgés du clan lui avaient raconté ce qu'ils faisaient avant de devoir prendre les armes et la fuite ensuite. L'un deux travaillait dans la finance et cette notion semblait dépasser les perceptions de Décembre. Depuis qu'elle était née, juste à la fin de la guerre, l'argent n'existait plus et tout était tourné autour du troc. On s'échangeait des armes contre de la nourriture ou de l'essence contre des piles. Seulement, à présent que ces ressources avaient presque toutes disparues, les échanges étaient plus compliqués. Cela devait faire une dizaine d'années que les clans avaient cessé de marchander entre eux et se contentaient de s'éviter ou choisissaient de se massacrer. En l'honneur de la mémoire de son père, Décembre n'avait pas été vendue à un homme. Elle avait eu le droit de choisir de rester célibataire.

Si la plupart des jeunes femmes restaient dans leur camp d'origine pour enfanter, certaines partaient pour resserrer des alliances avec des clans voisins. Avril, qui était de deux ans sa cadette et avec qui elle était amie était partie l'hiver dernier quand elle eut atteint sa majorité. Elle avait été choisie par un homme d'un clan qui résidait de l'autre côté de Paris. Décembre n'avait pas eu de nouvelle d'elle depuis.

La jeune femme arrivait enfin sur la place qu'on lui avait indiquée. Les boutiques aux devantures massacrées se pressaient les unes contre le autres, regardant la statue informe qui trônait au centre de la place. Les lieux était toujours vides de toute présence quand elle s'approchait des boutiques. Les écriteaux et les enseignes avaient toutes été effacées par le temps et seules celles affublées de néons restaient lisibles. Après un rapide tour d'horizon, elle comprit que le plus rapide resterait encore d'observer le contenu de chaque commerce. La plupart avaient été ravagées il y a plusieurs années.

Des paires de lunettes aux verres brisés jonchaient le sol du magasin voisin à celui qu'elle cherchait. Décembre posa sa main sur la poignée de la porte entrouverte et poussa doucement. Un grincement sinistre se fit entendre et elle observa avec attention autour d'elle. Quand elle fut sûre à nouveau d'être seule et que personne n'accourait vers sa position, elle entrait dans l'armurerie abandonnée.

Celle-ci était petite et la vitrine sale filtrait la lumière de l'extérieur. Beaucoup de choses ne se trouvaient plus là où elles avaient été suspendues et après une minutieuse inspection, elle contourna le comptoir pour se retrouver dans l'arrière boutique. Encore plus petite que la pièce précédente et encore plus sombre, l'air y était presque irrespirable tant il était saturé de poussière. Décembre déposait alors son sac à ses pieds et en sortit une petite lampe dynamo. Elle activait la manivelle dans un crissement sonore et éclairait les différentes étagères. Des boites de cartouches vides y traînaient et elle n'aperçut rien qui ne vaille de se charger plus qu'elle ne l'était déjà. Mais alors qu'elle allait quitter la pièce, son instinct la fit se pencher. Accroupie, sa lampe pointait sous les étagères et bientôt éclaira la crosse d'un revolver.

À en juger par les nombreuses particules qui s'étaient collées dessus, il devait être là depuis longtemps. La jeune femme le saisit du bout des doigts et souffla dessus. Un nuage épais s'en décrochait et elle toussa en en inhalant une partie. Après une rapide vérification, elle conclut que le chargeur était vide mais vint quand même accrocher l'arme à sa ceinture. Sur ses hanches pendant désormais un couteau et un revolver passé d'âge et sans doute hors d'usage.


Elle récupéra son sac à dos et quitta en vitesse la boutique pour reprendre sa route vers le sud. Elle jura quand après quelques minutes de marche, elle sentit à nouveau la canette métallique lui cisailler le dos.

Un monde d'aprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant