Seule à nouveau. Cela faisait un moment qu'Alyzée n'avait plus perdu quelqu'un. Ce fut d'autant plus douloureux qu'elle n'était pas de nature solitaire et n'avait pas toujours été seule. La jeune fille avait connu la chaleur, la joie, la fête et surtout l'insouciance. Mais chaque perte apportant son lot de tristesse, les souvenirs devinrent progressivement ternes. Les nuits consacrées aux rêves rejouent en boucle ses 8 premières années. L'époque facile où le monde est soit blanc, soit noir. C'était le temps de construction de soi, les différents personnages y laissaient alors une empreinte presque définitive.
Alyzée avait 17 ans à présent, et si l'adjectif "épanouie" ne pouvait pas tout à fait la décrire, elle préférait penser rationnellement que la transition d'enfant à adulte était passée avec succès.
Il lui restait 7 mois à vivre sous le toit de son père avant d'atteindre la majorité. Elle faisait donc ses valises pour le suivre vers sa prochaine résidence. Ses maigres possessions entraient dans un carton et une valise. La jeune fille était plutôt minimaliste, quel que soit le déplacement: vacances ou déménagement. Le minimum consistait en une dizaine de tenues pour la plupart très confortables, d'une petite trousse de toilette, une petite trousse de pharmacie et plusieurs paires de chaussures qui faisaient presque imploser la valise. Il lui fallut s'assoir dessus pour réussir à la fermer mais le résultat en valait la peine puisque tout rentrait. Elle emportait également son sac à dos avec ses affaires scolaires. Dans son carton, il y avait une affiche de collage roulée, ainsi que du matériel créatif, un attrape-rêve mauve, deux sets de draps foncés et une Boîte. Sa Boîte. Le dernier ancrage dans la réalité qui lui restait.
Après avoir tout empilé dans le carton, il était à moitié vide ce qui lui fit regretter d'avoir tant forcé pour clore la valise. Elle rassembla ses affaires devant l'appartement dans lequel elle avait habité durant plus de 5 ans avec pour seule compagnie un père absent et une mère en crise. Elle leva la tête pour observer le bâtiment, un HLM en décomposition, blanc à l'origine mais en partie noirci par le temps. La mauvaise insonorisation et les 5 étages à gravir chaque jour ne lui manqueront pas. L'odeur de moisi dans la salle de bain et les disputes de palier non plus.
La voix de son père la fit sortir de sa contemplation et elle le rejoignit dans la voiture. L'homme avait un visage fermé, discret. Etienne était tout sauf imposant : une petite taille, un début de calvitie et une barbe de 3 jours. Il ne parlait pas beaucoup, du moins pas avec sa fille. Il était du genre passif, n'avait pas vraiment d'avis, foot et immigration exceptés.
Après avoir roulé une dizaine de minutes, ils arrivèrent à l'hôpital. Il était temps de dire au revoir à la mère d'Alyzée. Elle jeta un coup d'œil à son père à sa gauche mais il regardait obsessivement en face de lui. Elle avait décidé il a quelques temps de ne plus rien attendre de lui mais il aurait tout de même pu l'accompagner pour la dernière fois. Malheureusement, elle se rendit à nouveau compte à quel point il était faible et têtu.
Elle soupira et ouvrit non sans mal, la portière passagère. La Clio avait atteint ses limites mais Etienne s'attachait à tout ce qui lui survivait plus de 5 ans et ne savais pas quand s'en défaire. Elle marcha d'un pas pressé vers le comptoir. Il n'y avait personne à cette heure avancée le dimanche. Elle attendait donc patiemment que la secrétaire la remarque. L'horloge indiquait 17h15. La salle d'attente était étroite, adaptée à la taille de l'hôpital. Il y avait une dizaine de sièges en métal dont la peinture bleu ciel s'écaillait par endroit. Un mouvement dans le coin de l'œil attira son attention. La femme derrière le comptoir s'était levée et essayait d'attirer son attention penchée par-dessus l'ordinateur. Elle secouait sa main et se rassit lorsque l'adolescente se tourna en sursautant.
Il lui arrivait souvent de fixer mon attention sur un élément de son environnement et de ne plus rien entendre autour. Pris par surprise son cœur battait la chamade et elle baissa la tête pour fixer son regard au menton de son interlocutrice. Elle donna son nom et le nom de sa mère et la femme lui donna des directions qu'elle connaissait déjà. Cela faisait plus de 3 ans qu'elle lui rendait visite tous les mois mais sans surprise, personne ne la remarquait ni ne se souvenait d'elle. Elle suivit donc les instructions et prit une grande inspiration avant de tourner la poignée de la porte 314. Ce nombre sonnait désormais comme un numéro porte-malheur.
Lorsqu'elle sortit, seulement 10 minutes étaient passées et son cœur était pourtant bien plus lourd qu'à son entrée. Elle fixa le sol gris du couloir infini pendant quelques secondes, puis cligna des yeux pour se forcer à revenir dans le présent. Cet endroit lui donnait toujours la chair de poule. Une fois sur le parking, essoufflée, elle prit de grandes inspirations pour essayer de se calmer, les paumes appuyées sur ses genoux.
Après s'être un peu calmée elle sentit une présence à sa gauche. Elle se tourna lentement, une boule au ventre. Elle ne comprenait même pas ce qui l'angoissait. Lorsqu'elle vit de qui il s'agissait, la tension quitta presque immédiatement son corps. Ses yeux noisette rencontrèrent ceux très clairs et frappant de Colus. L'une des seules personnes dont le regard ne la faisait pas frémir. Elle lui offrit un petit sourire en coin qu'il lui rendit. Elle s'approcha et lorsqu'il lui proposa sa main paume vers le haut, elle y posa la sienne. Il appuya alors de manière à laisser une certaine pression. Cet échange apaisa les deux amis si bien qu'ils oublièrent un moment où ils étaient et pourquoi.
Un oiseau s'envola non loin, les sortant de leur transe et Alysée leva les yeux de leurs mains pour les fixer sur les prunelles bleues de Colus. Son regard était triste mais il continuait de sourire légèrement. Alysée eut alors un élan soudain d'affection qui la poussait à se réfugier dans ses bras pour un câlin d'adieu qui aurait également été leur premier mais elle n'était pas du genre impulsif alors elle retira plutôt sa main pour lui faire un signe et se dirigea défaite vers la Clio dans laquelle son père l'attendait surement.
Lorsqu'elle arriva à la voiture, son père était en train d'embrasser sa femme. Elle était probablement arrivée en bus car elle n'avait ni voiture ni permis. Ils ne se rendirent pas compte qu'elle était arrivée alors elle ouvrit la porte passagère, abaissa le siège et se glissa sur la banquette arrière. Sa petite taille lui permettait de se faufiler assez facilement, mais les sièges-avants étaient tout de même bien plus confortables. Surtout pour un trajet de plus d'une heure comme celui qui les attendait. Elle maudit silencieusement son père car elle savait qu'elle allait devoir souvent s'assoir à l'arrière puisqu'ils habiteraient désormais à trois. Son duo avec son père n'était pas le meilleur mais au moins elle n'était ni la roue de secours ni la chandelle.
Les adultes s'asseyent enfin à leurs places respectives. Le père au volant ne perdit pas de temps pour mettre les clefs sur le contact. Il glissa en passant une remarque à Alysée sur son manque de politesse. Celle-ci répondit une excuse avant de mettre ses écouteurs et d'ignorer l'intérieur de l'habitacle. Elle fit un dernier signe à Colus. Elle regrettait l'absence de Kaya et Baus bien qu'ils aient fait leurs adieux le jour précédent.
Etienne alluma la radio, sa belle-mère s'endormit dès l'arrivée sur l'autoroute. Alyzée s'enferma dans son monde, la musique effaçant tous les sons extérieurs. Elle appréciait la qualité du son de son nouveau téléphone. Il remplaçait l'antiquité qu'elle avait dû laisser contre son gré. Dans celui-ci, il ne restait que deux contacts, celui de sont père en favoris et celui de sa belle-mère. Elle profita du trajet pour observer le paysage et réfléchir à ce qui l'attendait à cette nouvelle destination. Elle retournait dans la ville où elle avait été la plus heureuse, mais elle ne voulait pas espérer par peur d'être déçue. Elle préféra ne plus y penser et retourner dans son imagination et ses débats intérieurs.
VOUS LISEZ
Un souvenir indélébile
Teen FictionIl l'a sauvée tout en la détruisant au passage, la jetant dans un monde qui est à présent le sien. Puis il n'a pu s'empêcher de la sauver à nouveau. Et à présent il l'a laissé, livrée à elle même, dans ce monde auquel elle se sent étrangère. Son so...