Chapitre III - Loup Noir

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Thalia

Au fur et à mesure que j'avançais dans la maison, les mains contre la bouche pour étouffer mes pleurs, les souvenirs d'événements sans grande importance déferlaient avec autant de forces qu'un tsunami. Je revis chaque membre de ma famille qui avait péri dans l'incendie.

Papa, Tyler, Jack, Honey, Rebecca. La liste était interminable.

Maman.

N'y tenant plus, je me précipitai à l'arrière du manoir, dans le jardin où je trébuchai et atterri sur les genoux. Je me retins in extremis de vomir tripes et boyaux et tressaillis quand un souffle chaud et familier me traversa. Mon sang bouillonna, j'haletais tandis que ma vue se troubla.

Garde le contrôle. Concentre-toi bon sang !

Je ne m'étais pas transformée complètement depuis très longtemps. Trop longtemps. Et le trop plein d'émotions que j'avais ressenties remettait considérablement mon self-control en question.

À quoi cela servait de résister ? N'en avais-je pas marre de me cacher ? Il n'y avait personne à des kilomètres à la ronde, alors pourquoi encore résister, au point que cela me détruise de l'intérieur ? J'en revenais à refouler mes besoins les plus primaires, et pourquoi ? Rien.

Cette certitude s'imposa d'elle-même à moi et je retirai mes vêtements le plus rapidement possible. Je renonçai à les plier, tant mes mains tremblaient, avant d'entamer la transformation.

Je savais bien que le processus faisait souffrir mais cela n'empêcha pas la douleur de me couper le souffle. Mes os se brisaient, se ressoudaient, se brisaient encore. Mon crâne s'allongea et j'hurlai tant cela faisait mal. Les poils percèrent ma peau, me recouvrant totalement. Ordinairement, la transformation prenait une quinzaine de minutes et le fait que je ne m'avais pas changé depuis plusieurs années ne devait pas arranger les choses. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, je me retrouvais sous ma forme lupine en quelques minutes seulement. Je frissonnai quand le surplus de magie résiduelle disparu dans l'air, encore un peu sonnée. Je secouai mes pattes les unes après les autres en attendant que la douleur de la transformation s'amenuise. Ma louve jappa, heureuse d'être enfin libre. Je me rendis compte que j'avais attendu tout ce temps pour une seule raison. D'être chez moi.

Je suis rentrée.

Je remuai joyeusement la queue et traversai le jardin jusqu'au portail en fer forgé. Jadis, il était parfaitement entretenu afin de permettre aux Loups d'entrer et de sortir comme bon leur semblait. Désormais dix ans de rouille l'avaient détérioré et il ne me suffit que d'une légère poussée pour qu'il ne cède. Dos au vent, je m'avançai à pas feutrés en réprimant un frisson d'excitation. Si, humaine, mes sens étaient beaucoup plus aiguisés que la normale, ils l'étaient vingt fois plus lorsque j'étais en louve. Je vais percevais le son d'une voiture ronronner à plus de trente kilomètres de là, l'odeur distincte d'un écureuil vieille de huit jours et l'humus sous mes coussinets. Mon hypersensibilité au monde qui m'entourait m'avait, en un sens, beaucoup manqué. J'étais jeune, lors de ma dernière transformation, mais les sensations étaient toujours les mêmes, bien que de nombreuses années aient passé depuis. Le museau contre le sol, je trottinai agilement entre les arbres et effrayai malgré moi un faisan en m'arrêtant brusquement lorsque je repérai la piste d'un jeune cerf. Aussitôt, ma louve frémis nerveusement et je grattai le sol en pesant le pour et le contre. L'appel Chasse était irrésistible mais je n'avais pas assez d'expérience. J'y réfléchis en trépignant d'impatience. La direction du vent, le bruit d'un court d'eau à quelques centaines de mètres devant moi, tout était en ma faveur et la tentation était de plus en plus forte.

Une petite chasse n'a jamais fait de mal à personne.

Une fois ma décision prise, ma louve remua la queue d'impatience, me rendant plus chienne que louve et un humain m'aurait facilement confondue. Je fermai mon esprit à toute distraction extérieure et me mis en position de chasse. C'était ma toute première chasse alors je laissai les commandes au loup en toute confiance. Je suivis la piste sans mal, avec le moins de bruit possible et je sentis le cerf avant même de le voir. Il buvait au ruisseau, au milieu d'une clairière et ne semblait pas avoir remarquer ma présence. Il était jeune, ses bois venaient juste d'atteindre la taille adulte. Si je devais lui donner un âge humain, il n'aurait pas plus de dix-neuf ans, peut-être vingt. Tout en restant sous le couvert des arbres, je me déplaçai silencieusement pour éviter d'être contre le vent.

Soudain, de l'autre côté de la clairière, une masse sombre bougea et une branche craqua sinistrement dans le silence. Alerté, le cerf leva la tête et j'eus à peine le temps de croiser un regard ambré que le loup bondit de sa cachette, droit vers le cerf. Malheureusement, ce dernier s'était déjà retourné et filait à vive allure dans la direction opposée. Soit, droit sur moi. Je ne réfléchis pas une seconde et sautai, pattes avant tendues, toutes griffes dehors. Je l'atteins à la tête et tombai presque sur lui quand il s'effondra. L'autre loup s'avança et, d'un geste rapide et calculé, planta ses cris acérés dans la gorge de la proie, lui brisant ainsi la nuque. Du sang gicla, et fascinée, je contemplai le cerf rendre l'âme dans un ultime soubresaut.

L'odeur du sang et de la chair fraîche ravit ma louve qui se léchait déjà les babines.

Un grondement sourd me rappela la présence de l'autre loup et je reculai de quelques pas. Je lui rendis son feulement mais restai en retrait. Mon manque d'expérience m'agaçait de plus en plus sérieusement, je plissai les yeux et le détaillai sans baisser le regard.

Il était totalement noir, à l'exception du bout de sa queue qui était immaculé. Comme s'il l'avait plongée dans pot de peinture blanche. Grand et robuste, un tel concentré de puissance animale en un seul prédateur pouvait être assez effrayant, mais j'avais vécu mes plus jeunes années dans une famille pleine de prédateurs de ce genre alors je ne cillai pas. Discrètement, je reniflai l'air ambiant et tentai de déterminer s'il était un véritable loup ou un garou, comme moi. Une petite voix me souffla qu'un garou serait stupide ou alors sacrément fou pour s'aventurer aussi près de l'ancien territoire de ma famille.

L'odeur du sang était trop forte et détournait malgré moi mon attention. L'autre ne semblait pas prêt à s'éloigner du cerf, j'en déduis donc qu'il comptait le garder pour lui. Cachant ma déception dans un nouveau feulement dédaigneux, je me détournai, la tête haute et me dirigeai vers le court d'eau pour boire, tous mes sens en alerte afin de détecter une nouvelle proie. Ce n'était pas mon jour de chance apparemment. Notre mini-combat contre le cerf avait dut alerter tout être vivant à une centaine de mètre à la ronde. Je ne pourrais pas trouver de proie à moins de m'éloigner encore plus du manoir, ce qui n'était pas envisageable.

Un jappement me fit lever la tête et mon cœur rata un battement quand je croisai les yeux jaunes du loup noir. Il me regarda fixement et je me demandai une seconde quelle image lui je lui renvoyais.

Celle d'une louve aux muscles saillants et au pelage auburn, aux reflets couleur whisky. Un cercle de poils plus sombres, presque noirs, autour de l'œil gauche et la moitié de la patte avant gauche toute aussi sombre.

Il eut un très léger mouvement de tête vers le cerf gisant à ses pie- pattes. Je compris qu'il voulait bien le partager avec moi et m'approchai joyeusement en faisant tout mon possible pour ne pas remuer la queue. Pour une première chasse, je m'étais assez bien tirée.

Un côté de mon esprit imaginait sans mal l'indignation de certains des membres de la Meute de Glasgow - le nom de la meute des Blackhawks -, dont mon père. Partager un repas créait des liens importants, surtout pour les loups.

Bien entendu, cette partie était celle de la louve, qui ne se préoccupait que de l'instant présent, sans se soucier du passé à moins que celui-ci n'interfère de façon directe avec les événements. Je ne pouvais pas penser à eux sans me sentir dévastée.


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⏰ Dernière mise à jour : Oct 24, 2015 ⏰

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