1. Origines

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Chaque fois que Marissa pense à Mateo, c'est pareil. Je pétille dans son ventre quand il lui tient la main, lui chauffe les joues quand il la regarde avec ses grandes billes noires.
Mateo, c'est son chéri depuis la maternelle, et aujourd'hui, ils se marient. Alba et Gina, elles disent qu'on peut pas se marier à six ans, mais moi, je m'en fiche, des règles !

Marissa se cache derrière le peuplier. Le dos plaqué contre le tronc, elle guette autour d'elle, grattant l'écorce avec ses ongles. Les garçons lui cassent les pieds avec leur foot.
Le foot, ça me fait pas vibrer dans ses orteils.
Elle déteste ça, Marissa. Mateo aussi, heureusement.
On la tire par la main de l'autre côté de l'arbre et elle se retrouve face à lui. Il tend un pissenlit, tout fier.
Qu'il est beau, avec ses cheveux devant les yeux ! Je crépite sous ses paupières à chaque regard. Je bourdonne dans ses oreilles, frétille dans son cœur.
L'étincelle jaillit soudain du néant, pas plus grande qu'un grain de poussière.
Il surveille que personne n'approche, et leurs bouches se frôlent avant qu'il parte en courant.
Ma nébuleuse devient nuage ardent, tourbillonnant dans sa poitrine.
Une bouffée de chaleur l'enveloppe.
Je m'étends, me déploie.
Marissa se serre la ceinture pour retenir les lucioles qui tentent de s'échapper par son nombril, mais je m'envole quand même, rayonnant de mille éclats.
Je suis né. Je suis Amour.

                                    ***

— Marissa, concentre-toi sur ta copie.

Marissa arrache son regard de la vitre, surprise par la prof de géo qui la fixe derrière ses lunettes. Elle marmonne des excuses et plonge dans son devoir à peine commencé.
Dès qu'elle a vu écrit Portugal, je me suis envolé à Lisbonne. Elle n'est pas retournée dans son pays natal depuis dix ans. Pourtant, je palpite toujours aussi fort à son nom.
Je me rappelle sa détresse lorsque son père lui a annoncé sa mutation pour Sao Paulo. Sa peine en disant adieu à ses amies. Ses sanglots quand sa main a lâché celle de Mateo.
Le monde d'une gamine s'écroule.
Ma lumière s'étiole.

Mateo…
Ils se sont écrit pendant longtemps, puis la distance a eu raison de moi. Je m'étais promis de ne scintiller que pour lui, mais ça, c'était avant…

— Psst ! Marissa !

Mégane, sa meilleure amie à la discrétion légendaire, jette un papier replié plusieurs fois sur sa feuille. Elle le cache dans sa paume avant que la prof l’attrape et déroule le petit mot.
Je réchauffe ses pommettes à sa lecture :

“ Tiago te mate depuis le début du cours. Ça va être ta fête ce week-end ! ”

Elle lève la tête vers le fond de la classe et croise son regard envoûtant.
Tiago.
Ce nom fait frictionner mes atomes.
Ils sortent ensemble depuis trois mois et elle n'aurait jamais cru ça possible. Aux yeux de tous, elle n'est que Marissa, la rondouillette qui cache ses complexes derrière un brin d’humour. La bonne copine avec qui l'on boit des bières. Je sais pourtant ce qu'il y a en elle, mais j'hésite encore à briller trop fort.

“ Il est tellement parfait. Comment je peux intéresser un mec comme lui ? ”

Elle renvoie le message à sa destinataire et la réponse ne tarde pas :

“ Parce que tu déchires, meuf ! ”

“ Je crois pas qu'il ait envie d'aller plus loin. ”

“ C'est pas ce qu'a dit Leona. ”

Sa curiosité est piquée, mais la bouche pincée de madame Gonzales les dissuade de poursuivre la discussion.

— Alors, Leona ? s'empresse d'interroger Marissa, dès la fin des cours.
— Quoi Leona ? rétorque innocemment sa camarade.
— Allez, accouche.

Mégane a beau être comme une sœur depuis que Marissa a atterri au Brésil, parfois je fulmine par ses narines.

— Il a pas parlé à Leona. Mais elle m'a dit que João lui a dit que Tiago lui a confié qu'il avait hâte de te voir en maillot de bain à la plage, demain … et de te l'enlever !

Sa voix haut perchée siffle dans ses tympans et souffle sur mes braises. Marissa s'arrête net au milieu du campus.

— Il veut…

Elle passe les mains sur son ventre pour calmer mes vrombissements, tandis que Mégane l'empêche de douter.

— T'es canon, OK ? Je rêverais d'avoir ton cul.

Elle joint le geste à la parole et lui claque la fesse avant de repartir en direction de leur chambre.

— Viens. On va te trouver une tenue sexy pour ta première fois.

Mégane aime attirer les regards et susciter l'intérêt, autant dans son attitude que dans son apparence. Elle se pavane en tanga sur la plage de Praia Grande, où les étudiants campent pour le spring break. Marissa, beaucoup moins à l'aise dans son maillot une pièce, enveloppe sa taille d'un paréo, et observe son amie, une pointe de désir chatouillant mes particules.
Puis tout s'efface.
Plus rien n'existe à part lui sur sa planche de surf. Elle s'assoit sur sa serviette et épie le moindre de ses mouvements, fascinée par son corps ondulant au rythme du courant. Elle oublie de déglutir devant cette plastique de rêve, envie les gouttes d'eau qui tombent de ses cheveux et ruissellent sur sa peau hâlée.  Elle camoufle ses cuisses sous son vêtement lorsqu'il s'installe près d'elle, mais je gonfle dans sa poitrine et lui donne le courage de parler :
— La mer est bonne ?
— Grave ! Je suis content que tu sois là.
— Moi aussi, je suis contente de te voir. Ça va, toi ?
— Beaucoup mieux maintenant.

Il enroule son bras autour de ses épaules pour l'embrasser et ses lèvres délicieusement salées allument l'étincelle dans son bas-ventre. Je gondole en volutes lorsqu'elle se plaque contre son torse humide. Sa fraîcheur contrastant avec ma chaleur la fait frissonner.

À la nuit tombée, les âmes se libèrent, les esprits s'échauffent, les corps se déhanchent près des flammes, imitant leur danse lascive.
Je rayonne des mains de Tiago qui ne quittent plus Marissa. Il semble si avide de ses courbes que je bouillonne d'impatience et l'incite à prendre les devants :
— On va sous la tente ?

Il l'entraîne sans hésiter vers son bivouac. Une fois isolés, les respirations saccadées se mêlent au bruit des vagues et aux cris lointains.
Ils s’effeuillent, tremblants. Les gestes sont incertains, les caresses timides. Elle a peur, mais j'ai confiance en lui. La nervosité de Tiago n'est plus à prouver lorsqu'il entreprend pour la troisième fois d'enfiler un préservatif.
Il râle. Elle rit. Il l’imite.
Elle aussi maladroite que lui, mais il s'allonge enfin sur elle. Elle se tend.

— Tu es tellement belle.

Ces quatre mots suffisent à la convaincre et elle l'attire pour un baiser fougueux. Il parcourt sa peau cuivrée, balaye ses formes. Elle glisse ses doigts dans ses cheveux, s'attarde sur chaque aspérité de ses muscles.
Je deviens roche en fusion lorsqu'il entre lentement en elle.
La sensation est étrange. Tendre et douloureuse. J'explose de bonheur et inscris enfin mon nom dans les astres.

Love TripOù les histoires vivent. Découvrez maintenant