Les moches

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L'autre fois je lisais un conte de Bukowski, un mec abject et dégoutant, mais un grand écrivain.

Ayant réussi à faire tenir tout ça sur une même ligne, je pense pouvoir dire que j'ai pu faire en sorte de ne pas séparer l'homme de l'artiste. Je fais mon possible pour prendre en compte les sensibilités de mes lecteurs. On m'a dit que j'étais parfois choquant dans mes œuvres, j'ai même été censuré, alors que je prône la bienveillance. Mais je me mets en question, alors j'édulcore. 

Bon, alors je suis là, je lis du Charles Bukowski et comme d'habitude ça parle de malheur, d'êtres fatigués par la vie et qui cherchent par tous les moyens de remplir leur vide existence (la baise, l'alcool, la drogue, la violence...)

Dans ce conte, dont je ne me souviens plus le nom, Bukowski rencontre une jeune femme de vingt ans. Celle-ci fait partie des nombreuses conquêtes de ce vieux mec décrépit qu'est Charles qui est le protagoniste de ses propres histoires.

Forcément, cette femme a un mal profond qui l'habite ; tellement profond qu'elle est suicidaire. Et comme toute bonne fin, ça se termine mal, alors elle finit par se donner la mort. Mais vous savez ce qui est le plus triste là-dedans ? C'est que c'était une très belle femme. 

Ça m'a fait beaucoup de peine car à la suite de cette action, le pourcentage de moches dans le monde a augmenté. Alors oui, une personne sur des milliards, ça ne fait pas beaucoup, mais pour moi, un esthète de la première heure, ça représente une tragédie. Pourquoi de la première heure, me diriez-vous ? Tout simplement car je suis né beau. Depuis que je suis haut comme trois pommes, mon destin a été de vivre pour l'art, mais surtout de vivre pour le beau. 

Néanmoins, je n'ai rien contre les moches, loin de là. Même si je ne veux pas imposer mes idées à la société, je pense qu'il faut les tolérer (séparément). Je ne vois pas l'intérêt de dénigrer des personnes sur leur physique, cela ne les changera pas ; ils étaient moches avant qu'on les montre du doigt et ils le resteront encore après. Donc au lieu de les traiter de « sale moche » ou de « gros laideron », je propose une approche bien plus bienveillante. Nous (les beaux) pourrions leur dire quelque chose comme « Je n'ai rien contre toi, d'ailleurs je suis sûr que dans une autre vie, on aurait pu bien s'entendre ». 

Eh oui car ça ne sert à rien de s'attarder avec ces personnes ; comme je l'ai dit, elles ne changeront pas. Mais j'insiste sur le fait que ce n'est pas leur faute. On ne va pas leur demander de faire de la chirurgie esthétique ou alors de remonter dans le temps pour faire un changement de parents : ce serait tout simplement cruel. L'approche que je propose prend bien mieux en considération les sentiments du moche interlocuteur ; de plus ce n'est pas une remarque dénuée de raison. 

Quand j'explicite le fond de ma pensée par le biais de la phrase précédemment mentionnée, il est possible qu'on me demande « comment ça dans une autre vie ? ». Généralement, quand j'arrive à soutenir le regard suffisamment longtemps de la personne hideuse en face de moi, je lui réponds que oui, dans une autre vie, ça aurait pu marcher. Je ne sais pas si vous êtes au courant, si ce n'est pas le cas ce n'est pas grave (on apprend tous les jours), mais il existe de nombreuses réalités alternatives. C'est dans ce cas précis où un moche et un beau (de base) peuvent s'entendre, car la bête hideuse devient prince charmant. 

Au passage, quelle belle œuvre ce Belle et la Bête. Je n'ai ni vu le film ni lu le conte, mais je connais la morale qui est en adéquation avec ma vie d'esthète, ça me suffit. 

Mais alors, pour revenir à cette histoire de réalités alternatives, vous prodiguer des conseils me fait penser. Ce n'est pas forcément dans une autre vie qu'on s'entendrait bien, car, dieu m'en préserve, je pourrais être moche dans celle-ci. Alors que dans les interactions de notre réalité, je n'ai pas à changer, je suis le beau, je suis l'esthète. 

Donc prochainement, je devrais peut-être revoir mon discours en ceci « je suis sûr qu'on pourrait s'entendre si tu étais un autre toi, celui d'une réalité alternative ». Je pense que c'est suffisamment clair. De plus, j'insiste encore, la bienveillance prime, je ne traite pas le moche d' « épouvantail à moineau » ou encore de « disgrâce de l'être humain ». Le but réside dans la rupture de toute relation, en étant clair et concis et sur ce : « adieu, bonne journée ». Car qu'est-ce qui rappelle aux moches leur condition ? Nous bien sûr ! Les beaux ! Par conséquent, pour le bien de tous, pourquoi ne pas faire chambre à part ? Faire société à part. 

Le beau, l'esthète, pourrait vivre sa vie comme d'habitude, sans avoir le malheur de faire souffrir ses yeux à tout moment. Dans le même temps l'hideux pourrait se regarder dans sa glace sans fondre en larmes ou en se demandant si la vie vaut le coup d'être vécue. 

Et je pense sincèrement qu'elle est là la morale du conte de Bukowski. L'alcoolique, dégueulasse, vieux dégoûtant homme qu'il est se retrouve avec une jeune femme sublime. Il n'est pas précisé pourquoi elle a des tendances suicidaires et pourquoi elle passe à l'acte, mais il faut savoir lire entre les lignes. Elle représente cette volonté commune d'une vie qui ne peut que se vivre séparément. Mais s'en voulant de s'être entiché d'une créature hideuse, elle en a fini. 

Tout cela pendant que Bukowski a continué à mener une existence rythmée par la débauche tout en racontant à chaque page qu'il était vieux et moche. 

Les mochesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant