Le chemin

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J'étais morte pour cette fichue prophétie, bien sûr que j'allais l'accomplir ! Foutus sorciers, toujours à parler par énigmes, à vous ordonner de faire des choses pour eux, pour le monde, sans jamais se soucier de ce que cela peut vous coûter... J'avais détesté Numéros lorsqu'il avait dit à ma mère qu'il fallait que je meure pour sauver le monde. Une vie contre des milliers d'autres. Comme si elle n'avait pas déjà assez souffert dans sa vie, on lui demandait maintenant de sacrifier son unique fille parce qu'un vieux fou alcoolique, se disant sorcier, avait vu un présage funeste dans son verre de rhum. Les seuls présages que j'y voyais, c'était une cirrhose et une gueule de bois. Lui, il y avait vu une catastrophe, un fléau : les morts déferlants sur le village et tuants tout le monde sur leur passage.

Ma vie avait toujours été ponctuée de malheurs, clairsemée de mort. Alors cette annonce n'aurait pas dû me surprendre comme elle le fit. J'avais certes ma famille que j'aimais dans cette vie, mais j'avais quelqu'un dans l'au-delà qui me manquait terriblement. La perspective de quitter ce monde ne m'effrayait donc pas. Égoïstement, je savais que la mort me contenterait tout autant que la vie. Alors, à contre cœur, après la fin de la cérémonie, je quittais le village, et marchai vers l'horizon. Après tout, j'étais morte, et mon souhait le plus cher allait être réalisé, j'allais enfin le revoir, le serrer dans mes bras. Mon cœur en avait si souvent rêvé que je n'osais y croire. J'allais enfin revoir son visage qui m'avait tant manqué, revoir son sourire, ses yeux bleus, et réentendre son rire... Car depuis toutes ces années, la culpabilité me rongeait : j'avais oublié sa voix. Mais j'allais l'entendre à nouveau, enfin. A cette pensée, la peur qui m'avait envahie plus tôt disparue, je me sentais prête. Si je devais échouer, alors je le ferai auprès de lui. Et si je devais réussir, je verrai enfin de la fierté dans ses yeux.

Je n'imaginais pas vivre cette quête sans lui, et je ne voulais pas penser au malheur que j'éprouverai s'il n'était pas là. Après tout, les âmes avaient le choix entre rester dans l'au-delà, ou simplement cesser d'exister. Il avait tellement souffert de sa maladie, qu'il avait peut-être choisi de disparaître. Les légendes racontaient que les morts retrouvaient leur véritable forme, et qu'ils ne souffraient plus. Mais ces légendes, aussi réconfortantes qu'elles puissent être, ne pouvaient pas être reconnues comme des sources fiables. En effet, jamais personne n'était passé dans le royaume des morts pour en revenir en expliquant tous les fonctionnements de ce monde. Jusqu'à présent du moins. Et si elles étaient fausses, si les personnes mortes continuaient à ressentir la souffrance, alors il était normal que les âmes souhaitent disparaître... Mais je ne voulais pas me résoudre à cela, je ne voulait pas l'avoir perdu définitivement. La seule façon pour moi de ne pas fuir devant tout ce que l'on me demandait, c'était de le revoir.

En quittant le village, j'étais passée devant des maisons abritant des familles entières, comme la mienne, mais quelque chose m'avait frappé. Leurs morts se tenaient près d'eux, les regardaient, leur souriaient. Ils n'étaient pas partis dans l'au-delà, pour la plupart, afin de veiller sur leurs proches, ou d'accomplir un dernier acte. Ces âmes avaient choisi de rester dans les limbes. Ils me regardaient tous, souriant, leurs regards me remerciaient d'avoir accepté le sacrifice. J'étais heureuse de leur apporter de l'espoir, même si moi, je n'en avais aucun. Mais au final, cet espoir n'était-il pas vain ? Car, ces morts, qui protégeaient leur famille, n'aimeraient-ils pas revenir auprès des vivants ? Je décelais également de l'appréhension sur leurs visages : la peur de voir les morts envahir le monde de vivants, et les tuer. Accepter que la prophétie se réalise pour pouvoir revenir auprès des siens, c'était accepter de prendre le risque de les voir se faire tuer. Si l'équilibre de la magie était rompu par la prophétie, qu'adviendrait-il des âmes des personnes qui viendraient à mourir dans cette guerre ? Resteraient-ils des âmes à sauver ? Autant de questions qui devaient assaillir leurs pensées. C'est cette peur qui avait pousser ces âmes à me remercier d'avoir accepter mon destin. La peur de tout perdre.

L'armure de Numéros était lourde, et les armes qu'il m'avait donné encore plus. J'avais un arc et des flèches ainsi que deux petites épées dans le dos. Bien que je ne sache pas m'en servir, Numéros m'avait assuré qu'elles me protégeraient. Je marchais ainsi vêtue, droit devant moi, le cœur battant et la tête haute. Le vieux sorcier m'attendait au sommet de la colline surplombant le village :

« Bonne chance Meïla, bats-toi, gagne cette guerre, pour ton peuple.

- J'essayerai Numéros, je vous le promets. »

Et c'est sur cette promesse ridicule que je partis faire face à mon destin.

La marche n'était pas compliquée, je ne ressentais aucune fatigue, aucune douleur... pas de doute, j'étais bien morte. Même la faim et la soif ne se faisaient pas sentir, après pourtant des heures de marches. Numéros m'avait donné un plan qui indiquait une grotte, un sanctuaire. Là-bas, si tout se passait bien, je le retrouverai, enfin. Ma quête était avant tout personnelle, et Numéros le savait. J'avais besoin de le voir et de l'avoir à mes côtés. Alors je marchais, obstinément, déterminée à retrouver mon passé. Le soleil à son zénith me réchauffait agréablement la peau, et je profitais du voyage et des paysages splendides qui s'offrait à moi. Je commençais à apercevoir la montagne sacrée et la grotte.

Tout était si beau, l'herbe si verte, je n'avais jamais rien vu d'aussi splendide. L'atmosphère était chargée d'une délicate odeur de miel, mais je ne voyais rien aux alentours qui puisse diffuser cette senteur. Plus la grotte se rapprochait, plus l'odeur s'amplifiait. C'était agréable, si les raisons de ma venue n'avait pas été si funestes, je crois que j'aurai pu adorer me promener ici. Mais le poids de la peur pesait sur mon cœur. Numéros m'avait indiqué que seuls les morts et les sorciers avaient accès au sanctuaire, je ne m'étonnais donc pas de ne voir personne dans les champs environnant. Je ne croisais que quelques animaux, du moins leurs âmes. Une partie de moi était heureuse de voir que les animaux avaient leur place dans ce monde si paisible après leur mort. Je me demandais si les animaux que j'avais eu seraient aussi au sanctuaire.

La panique grandissait en moi à mesure que j'approchais. Et s'il n'était pas là ? S'il avait choisi de disparaître? S'il n'était pas resté dans ce monde de transition? Si Numéros m'avait menti en me disant qu'il veillait sur moi? Après tout, il n'était pas là lorsque j'avais quitté le village. Il n'était pas comme ces âmes auprès de leur famille. Je ne m'imaginais pas réussir à accomplir la prophétie sans lui, je ne me voyais pas morte sans lui. Mes pas s'étaient accélérés sans que je n'y prête attention, et je me trouvais maintenant devant la montagne.

Elle était majestueuse, verdoyante, si belle, si paisible. Mon regard se porta vers une tache sombre sur la droite, la grotte. Je grimpai les quelques mètres me séparant d'elle lorsque j'entendis un son de tambour. On m'attendait, et j'allais voir plus de personnes que je ne le croyais. La peur m'envahit, et n'y tenant plus, je pénétrai dans le sanctuaire. J'y vis un trou de lumière illuminant l'intérieur, une source d'eau ruisselant sur les parois et coulant dans le milieu de la grotte. Le son des tambours venait d'une dizaine de personnes, vivantes, présentes dans le sanctuaire. Ils m'attendaient et chacun d'entre eux vint me voir, me remercier. Ils étaient tous sorciers et sorcières, et pouvaient donc tous me voir. Ma joie face à ce soutien ne put effacer ma déception : Il n'était pas là...

Il avait donc choisi de disparaître, de m'abandonner. Il n'avait pas veillé sur nous, sur moi, Numéros m'avait menti. Je pouvais le comprendre, car je n'aurai certainement jamais accepté de mourir si j'avais su qu'il ne serait pas là. Mais je me sentais trahie, par Numéros et par lui. Je sentais cette douleur immense envahir mon cœur, s'infiltrer dans chaque parcelle de mon être. Et à ce moment précis, j'aurais moi aussi voulu disparaître. Je n'entendais plus les tambours, ni les chants, ni même les paroles des gens autour de moi. Tout était flou. Et alors que le désespoir m'envahissait, j'entendis des pas derrière moi.

« Bonjour ma puce »

C'était lui, c'était sa voix, sa si magnifique voix. Après des années sans l'entendre, après l'avoir même oubliée, je la reconnue instinctivement. Je me tournai, les larmes se mirent à couler et lorsque mes yeux se plongèrent dans les siens, ma voix se brisa:

« Papa... »

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 03, 2024 ⏰

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