01 - Rencontre provençale

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Par un début d'après-midi ensoleillé, une jeune femme posait ses bagages sur le parquet d'une chambre réservée pour les prochains jours. Pour l'accueillir le plus chaleureusement du monde, les meubles la saluèrent avec une douce odeur d'olivier. Ouvrant la porte de l'armoire pour y déposer ses vêtements, celle-ci crachota des effluves de lavande par l'intermédiaire de sachets aux tissus provençaux. Garance, charmée, ouvrit grands les fenêtres, mais laissa les volets filtrer les rayons d'un soleil trop radieux pour cette fin de printemps. La légère bise fit voleter les rideaux, permettant à la nouvelle locataire des lieux d'écouter le chant des cigales alors qu'elle s'allongeait pour se reposer quelques instants.

Depuis sa Normandie natale elle avait parcouru toute la France en train pour se retrouver ici, en Provence, dans ce mas. Le bâtiment était aussi imposant que l'étendu du domaine de la propriétaire, Alba. Un héritage familial dont elle prenait soin depuis plusieurs décennies.


Pour Garance, ce coin idyllique ne devait pas lui faire perdre de vue son objectif premier : retrouver un fil très ancien d'une vie perdue trop brutalement à ses yeux. Elle rassembla ses esprits et attrapa le dossier calfeutré dans un sac, il y rassemblait des photos argentiques, des lettres jaunies, des cartes postales aux encres baveuses. Des morceaux du passé de son grand-père.

Tous ces mots parlaient de ce domaine. Tous ces détails se nichaient en ces lieux. La chasse au trésor pouvait débuter, Garance était impatiente de se perdre pour mieux le trouver à travers cette dernière étape. Et pour cela, rien de mieux qu'un tour des environs en compagnie d'une carte remise à son arrivée.


Accoudée à la rambarde, elle jeta un œil au hall d'entrée et remarqua Alba, la propriétaire du domaine. Une vieille dame fascinante selon Garance, une énergie qui pétillait dans les yeux malgré une mobilité rendue difficile par le poids des années et des tragédies. Cependant, elle resplendissait d'une joie communicative et d'un franc-parler qui la rendait malicieuse.

Assise dans un rocking-chair, emmitouflée dans des vêtements blancs que seules les excentricités des accessoires interpellaient qu'Alba réclama l'étreinte d'un jeune homme.

— Ah, te voilà ! Tu as loupé l'arrivée d'une cliente.

— Je suis désolé grand-mère, mais j'ai été retenu par un employé de la mairie au sujet des oiseaux.

— Encore ? Je leur ai déjà répondu que la volière ne bougera pas d'un iota, si les hommes peuvent se targuer d'avoir une maison chauffée...

— Ce n'est pas le cas des oiseaux, termina le petit-fils en riant. T'en fais pas, je lui rembourserai son beau costume de parade.

Alba eut une mine outrée.

— Ce n'est pas le costume que l'oiseau aurait dû viser !


Garance s'amusa de cet échange, les mots d'Alba imprégnaient encore les lettres conservées par son grand-père et effectivement, elle était très soucieuse de la sauvegarde de son domaine, faune et flore incluses.

— Ne restez pas en haut de l'escalier, l'apostropha Alba, venez chère Garance.

La jeune femme tressaillit légèrement et s'empressa de descendre remercier Alba pour la chambre.

— C'est mon petit Hadrien qui s'en est chargé, je ne peux plus monter les marches hélas.

Garance sourit au jeune homme d'un peu près son âge, la vingtaine certaine, qui lui serra la main, radieux.

— Je suis content de voir que la chambre vous convienne, j'espère avoir respecté la photo que vous aviez envoyée à ma grand-mère.

— Oui, tout était parfait, et effectivement, comme dans son souvenir, les grillons chantonnent à tue-tête lorsqu'on ouvre les fenêtres, merci pour ce moment.

— Ah, ce cher Orion, souffla Alba avec tendresse. C'était une belle personne, pas autant que mon mari, mais un premier amour surtout quand il se passe aussi bien laisse de bons souvenirs.


Un changement s'opéra chez la vieille dame, ses rides se creusèrent, sa mine s'assombrit et Garance se laissa gagner également par la morosité. Elle enviait Alba et Hadrien, ce lien qui l'unissait à son grand-père appartenait au monde éthéré des souvenirs. Le jeune homme passa une main dans ses cheveux blonds, il paraissait désolé. Garance se sentit mortifiée, elle n'avait pas envie de gâter l'humeur d'Alba et d'embêter Hadrien, alors qu'elle cherchait une parade pour alléger l'ambiance, son logeur s'exclama très fier de lui :

— Oh, je me souviens d'une photo grand-mère, celle du domaine vue du ciel... Tu étais avec monsieur Orion dessus.

Alba tapa dans ses mains, retombant en enfance, elle s'esquiva aussitôt derrière le comptoir de l'accueil. Restés sur place, Hadrien et Garance l'entendirent rouspéter, farfouiller dans des papiers, attendrissant les deux vingtenaires.

— Je suis triste pour votre famille, commença Hadrien, j'ai perdu mon grand-père il y a quelques années et cela a affecté ma grand-mère. La voir perdre son meilleur ami a été un nouveau choc pour elle, j'espère sincèrement que votre séjour vous permettra de retrouver monsieur Orion.


La sincérité d'Hadrien toucha Garance, qui regarda ses pieds distraitement. Il lui était difficile de parler d'Orion ou même de sourire en pensant à lui. C'était trop tôt et pourtant si loin, une année désormais et les larmes brouillèrent sa vue. De son côté, Hadrien lui laissa le temps de se reprendre, il comprenait que trop bien, pour lui l'absence formait un torrent impétueux où les étoiles étaient des souvenirs insaisissables auxquels se raccrocher pour continuer sa route.

— Je sais pas si elle retrouvera la photo, Alba et monsieur Orion ont fait un tour de montgolfière autrefois. Ça pourrait être une bonne occasion pour suivre la piste de votre grand-père.

Garance resta bouche bée, cette proposition était inespérée et Hadrien se retint de rire, il appréciait l'expressivité de la jeune femme.

— Ce serait trop cool, s'enthousiasma la jeune femme au point de faire reculer Hadrien qui ne s'attendait pas à autant d'énergie.

Elle se rappela soudain où elle était et en présence de qui.

— Merci, se reprit-elle. Je vais faire un tour à pied de votre domaine...


Alors qu'elle prit congé d'Hadrien en le saluant de la tête, ce dernier ricana doucement. Il était surpris et amusé par le vouvoiement, toutefois, s'il n'en fit pas la remarque, il dut arrêter Garance dans son élan :

— La sortie est juste ici ! lui indiqua-t-il en pointant du doigt la porte face au bureau d'accueil. Mais si vous avez faim, vous pouvez effectivement faire un tour en cuisine.

Garance sentit le rouge lui monter au visage et s'empressa de quitter les lieux, même avec cette chaleur écrasante, elle était ravie de prendre un peu de fraîcheur. À l'intérieur, Hadrien rêvassait toujours alors que sa grand-mère secouait avec fougue les photos évoquées plus tôt.

Fraises et MimosasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant