Je n'en revenais décidément pas. Jean, le garçon que j'aimais depuis plusieurs années voulait recoller les morceaux après tout ce qu'il m'avait fait ? Cela semblait vraiment invraisemblable. De plus, je ne savais pas encore si je possédais toujours les mêmes sentiments à son égard.
En effet son rejet m'avait déjà brisé le coeur, à un jeune âge qui plus est. Néanmoins, ce qui avait achevé de craqueler mon âme, de piétiner mes sentiments, tous mes espoirs, c'étaient les brimades incessantes de mes camarades auxquelles il prenait part. Après tout, avant même d'avoir de quelconques sentiments pour lui, Jean était un ami précieux, qui m'avait soutenu après le suicide de mon père. Ainsi, sa trahison me laissait toujours un goût amer dans la bouche, rien que d'y repenser suscitait cette réaction chez moi.
Je me souvenais encore de la mort de mon père. Je rentrai de l'école avec ma mère, dans notre voiture d'un blanc immaculée, témoignant aussi bien de notre droiture dans la vie que de notre stabilité familiale, sans aucune tâche ni rayure, tout du moins, jusqu'à ce soir là. Une fois sortie du véhicule, je me précipitai dehors dans le but d'accueillir mon père avec un câlin serré.
En raison de son travail de maçon, et de la détérioration visible de sa santé, je voulais profiter de chaque moment passé avec lui. Qui ne le voudrait pas après tout ? Je pouvais perdre mon père, mon pilier, l'ancre qui me ramenait à la réalité dans les plus vils instants de la vie par une main invisible, venant le faucher implacablement avant l'heure, tout du moins à mon sens.
Il était le seul à être au courant de ma passion pour l'écriture. Il l'avait découverte quelques jours avant ce drame et m'avait encouragé dans cette voie, disant qu'il m'aiderait à convaincre ma mère quand je serai prêt à lui en parler. À cette période là, elle prévoyait déjà que je fasse de grandes études de médecine, bien qu'elle était relativement moins sévère que maintenant.
C'était sûrement la présence de son mari, si bienveillant au quotidien qui maintenait un semblant d'indulgence chez elle. Il comptait tant pour nous. Ainsi, quand j'ouvris la porte et fus accueillie par un silence pesant, mon sang ne fit qu'un tour. À cette heure, mon père devrait être en train de regarder un match de football à la télévision ! Pourtant, on entendait les mouches voler. Paniquée, je me précipitai dans le salon, puis, n'y trouvant rien, allai dans la cuisine. Ce que j'y vis me glaça le sang.
Mon père était étendu là, sur le sol carrelé de notre cuisine, où naguère, nous préparions de bons petits plats lui et moi. Ma mère se joignait parfois à nous quand elle finissait de parcourir et de trier divers dossiers sur son ordinateur portable, dans le cadre de son travail. Comment en étions nous arrivés là ? Comment mon père, cette homme fort, d'une droiture à toute épreuve, avait-il pu se donner la mort, un couteau traversant sa gorge, alors qu'il m'avait tant rabâché la valeur de la vie ? Aujourd'hui encore, je ne pouvais que supposer sur sa façon de penser.
À côté de lui, près du plan de travail se trouvait un nourrisson, un petit être sans défense, un bourgeon venant tout juste de voir le jour, ne demandant rien d'autre que de s'épanouir dans notre monde d'une cruelle beauté. Mort, voici ce qu'il était. Simplement mort. Abattu, fauché probablement par une chute qui parait si minime à un être humain ayant eu le temps de grandir. C'était cet événement ridicule qui avait taché de sang frais les pages d'un blanc immaculé de la vie de ces deux êtres qui m'étaient cher.
Ma mère, en l'apprenant, atteignit son point de rupture. Son regard noir d'améthyste avait perdu l'éclat qui faisait toute la beauté de cette pierre. Ce n'était pas le seul à être souillé. La banalité de nos vies, la blancheur de notre existence n'était plus qu'une couleur ternie par un rouge cramoisi écœurant. Le sang de celui que j'eus appelé un père, un confident.
![](https://img.wattpad.com/cover/363388839-288-k902434.jpg)
VOUS LISEZ
Une odieuse utopie
Random« À quoi bon rester ici si je ne m'y sens pas bien ? À quoi bon travailler d'arrache-pied pour satisfaire ses désirs ? Pourquoi devrais-je exister, si ma vie lui appartient ? Au fond, quel intérêt de rester dans ce monde ? » Lia, une jeune fille de...