Chapitre 1

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Eleanor

Un an plus tard

Ça fait un an, que j'ai perdu la mémoire. Chaque matin, je me réveille avec la conscience d'avoir vécu quelque chose d'important, d'intriguant, mais que les détails se sont évaporés. Ma vie avant mon accident est une énigme à résoudre, un puzzle dont les pièces sont dispersées dans les recoins de ma conscience. Par moments, des fragments émergent, laissant entrevoir des passages de souvenirs, des visages, mais jamais assez pour reconstituer le tableau complet. La perte de mémoire n'est pas simplement une absence de souvenirs, c'est un mystère permanent qui m'accompagne. Une quête quotidienne pour retrouver le fil conducteur de mon existence. Ce n'est pas un simple oubli, c'est un déni de ma propre histoire, une amnésie qui m'a arraché Eleanor. Chaque jour, je me confronte à un vide, à des fragments flous d'un passé que je peine à reconstruire. La frustration grandit à mesure que je réalise que ma propre vie m'échappe, comme si elle était une histoire que j'ai lu il y a bien longtemps, mais dont les détails se sont effacés avec le temps. Ma mémoire n'est pas complètement évanouie. Elle a laissé derrière elle un cortège d'oublis qui tracent des lacunes dans le tissu de mon existence. Les métiers, les différentes saveurs de certains aliments, les noms des fleurs, l'identité de l'homme qui partageait ma vie, tout cela a été englouti dans l'obscurité de l'oubli. Et bien encore. Cependant, parmi toutes ces ombres, il y a une absence qui résonne avec une amplitude particulière. Un vide qui transcende les autres : le violon. Les notes qui résonnaient autrefois avec une familiarité apaisante ont été étouffées par le silence de l'amnésie.

Lorsque je suis sortie de l'hôpital en compagnie de ma mère, l'ajustement à ma propre vie a été plus ardu que je ne l'aurais imaginé. Ses questions bien intentionnées sur mes envies et aspirations se heurtent à une toile qui voilait chaque recoin de ma mémoire. L'adresse de mon domicile, par exemple, était devenue une énigme floue, un mystère qui semblait s'évanouir au fur et à mesure que je tentais de le saisir. Le retour à la maison a été marqué par une redécouverte étrange. Un burger, m'assura ma mère, était mon repas préféré. Enfin, pas n'importe lesquels. Le Signature de chez Shake & Shack. Pourtant, la nouvelle Eleanor, déteste ça. Les saveurs qui autrefois me ravissaient semblent désormais étrangères à mes papilles. Des hortensias épanouies oraient chaque coin, leurs pétales délicats répandant une palette de couleurs qui, d'après ma mère, incarnait ma fleur préférée avant mon amnésie. Les hortensias, bien qu'elles fussent devenues des étrangères dans ma propre vie, évoquent en moi une admiration nouvelle.

Lorsque je suis revenue dans ma chambre d'enfant, elle était envahie par des cartons. Je les ai déballés et j'y ai retrouvé des photos, mes vêtements et pleins d'autres vestiges de mon ancienne vie. Ma mère m'a expliqué que mon fiancé avait pris l'initiative de les apporter quelques jours avant ma sortie de l'hôpital. Sa démarche avait une motivation particulière. Il redoutait que je ne retrouve jamais le souvenir de qui il était, et craignait que la "nouvelle" Eleanor ne l'apprécie pas à la hauteur de celle que j'étais avant. Je ne peux m'empêcher de comprendre sa perspective. Imaginer un être cher, du jour au lendemain, oublier la trame même de votre histoire commune. Je m'efforce de ne pas lui en vouloir. Après tout, comment pourrais-je ressentir de la rancoeur envers un homme que je ne connais plus, dont le visage et les souvenirs ont été emportés par le flot de l'oubli ? C'est une réalité douloureuse.

Les souvenirs de moi-même, tenant un violon entre les mains, demeurent nets. Ainsi, la partie la plus délicate a surgi au moment où j'ai saisi un violon. Le son discordant qui s'en échappait aurait pu réveiller un cimetière, une cacophonie qui contrastait cruellement avec les images claires de ma mémoire.

– Ele ! s'exclame une voix féminine dans mon dos.

Je me retourne pour faire face à Edna, ma meilleure amie. Après mon accident, mes souvenirs avec elle étaient très vagues, mais une connexion profonde persistait quand j'étais près d'elle. Edna se sentait coupable de mon accident, je n'avais aucun souvenir de cette soirée mais je sais qu'elle n'y est pour rien. Ainsi, j'ai décidé de passer du temps avec elle, et je ne le regrette pas. Edna a consacré ses journées à me réapprendre des choses que j'avais perdues de vue. Elle a investi des heures à m'accompagner dans mes restaurants préférés, suggérant à chaque fois les plats que l'ancienne Eleanor aurait choisis. Elle m'a également fait redécouvrir toutes mes chansons préférées.

Elle m'a appris ce qu'était l'amitié, un sentiment qui m'était devenu étranger. Des heures de discussion pour m'expliquer qui était vraiment Eleanor. De mes traumatismes aux moments les plus heureux. Elle a également entrepris de me remémorer nos meilleurs souvenirs.

J'aime énormément ma meilleure amie. Je suis consciente que cela a dû être difficile pour elle, le fait que je ne me souvienne pas d'elle, mais elle est restée. Son dévouement, sa patience, et son amour transparaissent à travers chaque geste. Je l'admire.

– Wow, tu fais une de ces têtes, rigole-t-elle. Ça va ?

– Oui. J'étais juste en train de me remémorer tout ce que j'ai vécu après mon accident.

Elle hoche la tête avant de m'enlacer.

– Je suis tellement fière de toi, petite perle.

Ses paroles réchauffent mon coeur glacé. Depuis mon accident, j'ai érigé une carapace autour de moi. J'ai toujours prétendu que la perte de mémoire ne m'affectait pas, que je continuais à vivre comme si de rien n'était, mais c'est faux. Mon monde s'est effondré lorsque j'ai ouvert les yeux dans cette chambre d'hôpital et que Rox était un parfait inconnu. En fouillant dans des photos de lui et moi prises au cours de notre relation, j'avais l'air amoureuse mais d'après Edna, je ne l'étais pas. Je faisais ça pour ma mère. Elle m'a tout raconté mais j'ai décidé de laisser une chance à ma mère.

Il est souvent facile de croire que les événements tragiques n'arrivent qu'aux autres, mais nous sous-estimons à quel point notre existence est fragile, qu'un simple instant peut tout changer. À maintes reprises, j'ai songé à abandonner.

– Merci, Edna.

Elle quitte notre étreinte.

– T'es sûre de vouloir reprendre le violon ?

– Oui, j'en ai besoin.

– Bon, allons-y, alors. Ta prof semble géniale !

Quand j'ai annoncé à Edna et à ma mère mon désir de reprendre le violon, elles se sont immédiatement mobilisées pour trouver un prof disposé à enseigner aux débutants. D'une certaine manière, je ne suis pas vraiment une débutante. J'ai joué du violon pendant plus de dix ans.

La perspective de revenir à cet instrument qui a jadis rythmé ma vie suscite à la fois l'excitation et une pointe d'appréhension.

Je laisse mes yeux errer sur le panorama urbain qui se déroule au-delà de la vitre de la voiture, absorbant chaque détail des rues animées, des bâtiments imposants et des lumières scintillantes qui animent la rue. Le temps a filé sans que je m'en rende compte, absorbée par mes pensées, jusqu'à ce que le GPS nous signale notre arrivée. J'ouvre la portière et me retrouve face à une immense villa moderne qui s'élève majestueusement devant nous. Mes yeux s'écarquillent devant l'ampleur de cette demeure, son architecture imposante évoquant le luxe et le confort. Une légère appréhension me traverse à l'idée de reprendre le violon, mais devant cette splendeur, je sens une pointe d'excitation mêlée à mon hésitation.

– Tu veux que je vienne avec toi ? demande ma meilleure amie.

– Non, ne t'inquiète pas.

Je m'extirpe du véhicule avec une démarche empreinte d'une certaine fébrilité, mes yeux fixés sur le majestueux bâtiment qui se dresse devant moi. La villa, d'une modernité saisissante, attire irrémédiablement mon regard, captivant mon imagination. Le portail, déjà ouvert comme s'il m'invitait à pénétrer dans cet univers qui semble tout droit sorti de mes rêves, m'accueille silencieusement. Je m'approche lentement, mes pas résonnent faiblement sur le chemin pavé. Mon doigt effleure timidement la sonnette, mais je recule brusquement, submergée par une vague d'appréhension. Le cœur battant, je me mords la lèvre, regrettant presque de ne pas avoir accepté qu'Edna m'accompagne. Je fais les cent pas devant la porte, tentant de maîtriser les battements frénétiques de mon cœur. Pourtant, une sensation d'excitation mêlée à une légère tension électrise mes nerfs. Cette maison, c'est celle de mes rêves, et pourtant, elle représente aussi le défi que je m'apprête à affronter. Je m'oblige à prendre une profonde inspiration pour apaiser mes nerfs avant de rassembler mon courage et de presser finalement la sonnette.

Un homme ouvre la porte. Ne me dîtes pas que je me suis trompé d'adresse, la honte. Ça devait être une femme. 

AmnésieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant