Chapitre 1

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Mon nom est Galaxie. J'ai vingt-et-un ans, et je suis une femme moyenne : taille moyenne, poids moyen, intelligence moyenne. Je ne me distingue pas particulièrement, sauf pour une chose : je suis une psychopathe et personne ne le sait. Sous mes airs de fille calme et réservée, je ressens des pulsions violentes, des pulsions de mort : c'est mon quotidien. Je fais de mon mieux pour refouler ces images qui dansent dans ma tête et vivre une vie normale, une vie moyenne. Peu de gens parviennent à imaginer à quel point il faut être froide et calculatrice pour se forcer à entrer dans un moule qui n'est pas le sien... Jouer un rôle. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas très amusant. Parfois, ça l'est ; c'est carrément jouissif, la victoire de paraître comme il faut. Mais la plupart du temps, ça s'accompagne surtout d'un grand sentiment de vide.


Si je décide de raconter mon histoire aujourd'hui, ce n'est pas pour attirer l'attention sur moi, chercher la gloire ou la reconnaissance, non... Un grain de sable s'est pris dans l'engrenage bien huilé de mon existence. Si les choses doivent mal finir, je veux que l'on se souvienne comment c'est arrivé : comment l'équilibre instable de ma vie est passé de la vie, à la mort. La vie a toujours été pour moi un phénomène complexe, une lutte, un exercice de funambule : comment pourrait-il en être autrement ?


La dernière fois, je suis rentrée dans la salle de bains, et j'ai surpris ma sœur qui se rasait les jambes. Il n'a fallu qu'une fraction de seconde, un battement de cils : j'ai vu très clairement ce rasoir courir le long de ses bras clairs et délicats. Le bruit de la peau qui s'arrache, les flots de sang se déversant sur le sol... Et son sourire, ses yeux vides, le froid de la mort. Au lieu de m'en émouvoir, je lui ai simplement souri : je me suis excusée de l'avoir interrompu, puis j'ai quitté la pièce. Rien à signaler.


Je vis avec mon père et ma sœur : à vingt-et-un ans, l'idée ne m'a jamais effleurée de quitter le nid. Pourquoi devrais-je les laisser tomber ? Chacun avec nos cicatrices, nous formons une famille unie, même si je les imagine en train de mourir régulièrement. Je les aime à ma façon : distante et un peu étrange, lunaire comme ils disent. Ils ne cherchent pas à me comprendre ; je suis intimement persuadée que personne n'y arriverait. Papa et Lola me trouvent un peu réservée, voilà tout.


Après des études supérieures plutôt bien réussies, j'ai décroché il y a quelques mois un emploi d'hôtesse d'accueil dans une banque de la ville. Je présente bien, je suis souriante : un atout dans ce métier. Personne ne pourrait deviner que je vois la mort partout : la tête de cette dame âgée par exemple qui explose, il y a des morceaux de cervelle un peu partout, y compris sur ma blouse. Je n'aime pas voir mes vêtements tâchés, mais on ne prévoit jamais notre destin n'est-ce pas ?


Je brosse mes longs cheveux bruns, légèrement ondulés : mes yeux bleus me dévisagent dans le miroir. Je n'aime pas beaucoup ces surfaces réfléchissantes : je leur découvre un vide angoissant. Papa trouve un peu étrange que je n'ai jamais ramené de petit ami à la maison, mais je pense que ça le soulage quelque part : nous évitons des présentations embarrassantes. Bonjour papa, je te présente l'homme qui couche avec ta fille. Non, sans façon, merci. A vrai dire, l'amour ne m'intéresse pas : je me sens détachée de ce genre de préoccupations. Je ne cherche à plaire à personne. Ma sœur, Lola, ramène assez d'hommes pour nous deux je dois dire.


C'est mon histoire, et je dois me montrer tout à fait honnête : l'amour ne m'intéressait pas. Je dois à présent employer ce verbe au passé, puisqu'il s'agit justement du fameux grain de sable qui me tourmente. Est-ce vraiment de l'amour, simplement de l'attirance ou tout autre chose, je n'en suis pas encore certaine moi-même à ce stade. Tout se résume en un mot, trois syllabes, six lettres : Alizée. Le gros problème, c'est que quoi qu'il s'agisse, mon cœur est touché. Et si mon cœur est touché, je n'ai plus autant de contrôle que je le voudrais... qu'il le faudrait, pour continuer à paraître normale. Qui payera les pots cassés, si ce processus se poursuit ? Est-ce que tous les morts que je vois sans cesse vont se matérialiser dans mon existence ?

Mon nom est GalaxieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant