Elles'éveilla aux ténèbres avec le sentiment d'avoir eu le souffle coupé pendant un long moment. Aspirant violemment une goulée d'air,la fille laissa échapper un gémissement. Elle était trempée de rosée alors qu'il faisait encore nuit, et, contrairement à son souvenir, la clairière semblait plongée dans l'obscurité.
Sauf que ce n'était pas les arbres qui lui cachaient la lueur de la lune.
C'était des gens.
Enfin,si tant était qu'elle eût pu les qualifier de gens. Penchés surelle en cercle, ces êtres étaient d'apparences variées et pourtant... tous dégageaient la même impression d'étrangeté.
« _Elle ne doit pas rester. Elle ne peut pas ! » lança une voix rocailleuse.
Levant les yeux vers celui à qui elle appartenait, la fille retint un cri.Il ressemblait à un vieil homme, mais le qualifier de vieux était un euphémisme : cet être était plus ancien que les montagnes,vêtu de se qui semblait à première vue être de l'écorce, la barbe en broussaille, l'oeil froid et sévère, des branches entremêlées dans ses cheveux grisâtres.
« _Elle n'a rien d'acceptable, j'en suis sûr ! » Reprit-il.« aucun Fae digne de ce nom n'est né depuis des décades. Nous ferions aussi bien de mettre fin à ses souffrances immédiatement ! »
Certains êtres hochèrent la tête en signe d'assentiment. Les yeux de la fille papillotaient de l'un à l'autre : ici, une robe dont le tissu semblait être composé d'eau, là, un vêtement de voiles aussi fins que de la gaze, ou encore un visage sur lequel semblaient pousser des fleurs, tandis qu'un autre était creux et pâle comme un crâne à nu, portant un collier fait d'ossements et un bec d'oiseau assez pointu pour vous transpercer. Ils étaient beaux, ils était terrifiants, et... Ils n'étaient sûrement pas humains.
Une femme se détacha de l'assemblée, rayonnante comme de sa propre lumière, les cheveux d'un blond pâle, sublime, vêtue de blanc et couronnée de fleurs, et quand elle éleva la voix, chacun se tut:
« _Je ne suis pas de ton avis. Regarde-la ! » Elle sourit à la fille perdue, d'un sourire si doux, si empreint d'amour et de compassion, que celle-ci se sentit un peu rassurée. « Elle sera parfaite. Il suffit de la défaire de ses vêtements d'avant, et elle sera des nôtres. Je la veux, et elle restera. »
A ces paroles, un autre membre du cercle acquiesça, avant de s'approcher de leur enfant trouvée. Pendant que la magnifique femme continuait de s'adresser à l'auditoire muet, rayonnante de grâce, l'autre lui saisit le bras et la souleva aisément pour la remettre debout. Ses jambes tremblaient légèrement, mais elle tint bon. Les yeux rivés sur l'inconnu, elle peinait cependant à discerner sa silhouette des ombres environnantes, tant il s'y fondait ; Avec ses vêtements entièrement noirs, seul son visage pâle se détachait de l'obscurité. Un des êtres semblait encore faire attention à elle,un garçon fin, si délicat qu'on l'eût dit de porcelaine, les cheveux d'un argent luminescent, vêtu d'un tissu qui lui conférait la clarté d'un astre. Celui qui s'était avancé ne dit rien, mais d'un geste, l'abrita sous un pan de sa cape noire et lui fit regagner le couvert des arbres.
« _Nous n'avons pas beaucoup de temps. Blanche va les persuader, parce qu'elle te veux, mais en attendant, les autres Faes vont essayer de t'effrayer. Tu es encore jeune, tu représentes une nourriture de choix. Je m'appelle Corbeau. Surtout, quoi que tu voies, ignore-le.Si tu as peur, regarde-moi. Je suis là, d'accord ? Tu ne dois surtout pas avoir peur. Si tu as peur, tu es perdue. Tu disparaîtras. Je suis là. Je suis là, et je veille, alors si tu sens que tu as peur, regarde-moi. Le reste n'est qu'illusion.
_Qu-quoi ?..
_Tais-toi, et suis-moi ! » chuchota-t-il en l'entraînant à sa suite à travers les bois.
Deuxième course dans la nuit. Et cependant, dans les ombres, elle apercevait des choses, comme des souvenirs longtemps oubliés qui auraient choisi de rejaillir à cet instant précis. Par moments, les silhouettes semblaient suffisamment près pour la toucher, d'autres fois, c'étaient des créatures munies de crocs et de griffes. Alors,elle fermait les yeux et serrait un peu plus fort le bras du dénommé Corbeau, sans que celui-ci ne dise mot. Et même les yeux fermés,les images restaient imprimées sur ses paupières, tandis qu'elles'empêchait autant que possible d'être effrayée. Les horreurs tentaculaires s'approchaient, leur viscosité noirâtre et malsaine transpirait l'ignominie la plus totale.
A un moment, elle crut hurler. Elle crut qu'elle allait craquer, abandonner cette course, se jeter au sol et laisser les ombres tentaculaires la déchiqueter. Alors, l'autre saisit son visage et tourna son regard vers lui. Il darda sur elle des yeux d'un bleu si sombre qu'il semblait être de la couleur d'une nuit sans lune, et quand elle fut calmée, il se remit à courir.
Alors que les formes semblaient gagner du terrain, il murmura entre ses dents serrées « plus qu'un petit effort, d'accord ? ». Ils arrivèrent à un bosquet d'arbres dont le faîte se perdait dans le ciel étoilé. Sur le tronc de l'un d'eux, pendait une échelle.Les jambes tremblantes, épuisée par sa course, la fille lui lança un regard éperdu, mais sans un mot, il la poussa vers l'arbre et fit signe de grimper. Il monta à sa suite, la poussant et la pressant silencieusement jusqu'à ce qu'elle atteigne enfin le sommet, une sorte de plate-forme en bois qui entourait le tronc massif. Pantelante, la fille s'écroula sur le sol en haletant. Sa première fuite dans les bois n'était rien en comparaison de ce qu'elle ressentait maintenant, alors qu'un couteau perforait ses poumons et que ses jambes étaient la proie de centaines d'aiguilles acérées.Voyant son épuisement, celui qu'elle avait mentalement appelé« l'autre », Corbeau, s'assit, adossé à l'arbre, et l'attira calmement contre lui, rabattant un pan de cape noire sur elle.
« _Tu as très bien fait. Repose-toi, maintenant. Nous aviserons demain. »
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Faes: Histoire de Louve
Spiritual"C'est cette nuit-là que je suis morte. Et c'est cette nuit-là qu' a débuté ma nouvelle vie." Une histoire de Faes et de meute.