I . Un atelier

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(16 ans plus tard)
Avec l'agilité d'un félin, Chiara se faufila entre les clients et les tables du café. Elle portait d'une main un plateau remplie de tasses et verres vides et de l'autre tenait un calepin de commande. Un homme qui semblait coutumier des lieux, la salua chaudement en s'installant. Un autre l'interpella pour passer commande. Sans même se stopper dans son élan elle répondit:
- « Je suis à vous dans un instant! Salut Pedro! Comment se porte ta jambe?
- Oh et bien comme toujours, il ne fait pas bon de vieillir tu sais petite. » lui répondit le dénommé Pedro.
La jeune fille était désormais arrivée au comptoir tout en continuant de converser un peu avec Pedro.
Une femme arriva enfin, elle devait avoir une cinquantaine d'années, légèrement plus grande que Chiara elle avait le teint hâlé et des yeux presque noirs, depuis lequel se dessinaient des rides discrètes. Ses cheveux étaient tirés en chignon bas mais une mèche bouclé encore bien brune malgré une légère grisaille sortait du rang et tombait sur son front. C'était une belle femme, qui avait dans le regard quelque chose d'intimidant, il ne faisait aucun doute que ce café était le sien.
Elle s'approcha plus près de Chiara et posant ses mains sur ses larges hanches, lui lança avec un ton faussement agacé :
- « Que fais-tu encore ici jeune fille! Je sais que tu aimes aider ta tante mais tu vas finir par me voler la vedette. Il se trouve en plus qu'un certain propriétaire d'atelier m'a dit de t'informer qu'il était près à te louer pour une broutille dès le mois qui arrive. »
- « Quoi! Si rapidement, mais que lui as-tu dis? »
- « Il me devait quelques services! Il a une ardoise longue comme le bras alors j'ai simplement usé de mon talent de persuasion pour qu'il mette une priorité sur toi. »
- « Mais c'est génial ! Tu es toujours aussi sournoise 'Tina, mais j'avoue que je t'en dois une belle pour cette fois. Appelle moi en cas de besoin ici. » s'exclama Chiara heureuse, et à peine avait elle prononcé ces mots qu'elle sortit en trombe du petit café.
Elle se précipita dans la ruelle pavée, celle-ci était particulièrement en pente et la jeune femme ne mit pas longtemps à courir, entraînée par son élan. Ses cheveux châtains ondulés, battaient au rythme de sa courses contre le creux de son dos. Elle retira son tablier de serveuse en vol avant de s'arrêter devant un bâtiment, il faisait l'angle de la ruelle. Il était légèrement décrépit et possédait deux étages. Au rez-de-chaussée, on pouvait apercevoir à travers deux vitrines simples en bois datant des années 1930, un comptoir de boucher poussiéreux et c'était à peu près tout. Au premier étage, se trouvait des appartements. La bâtisse n'était pas immense mais l'espace qu'offrait le rez-de-chaussée convenait tout à fait pour un atelier de tapissier. L'accès était idéal pour les meubles qui nécessiteraient d'être déménagés ensuite. De plus il s'agissait d'une des rare boutiques qui possédait une porte à double battant, assez large pour l'échelle du magasin. La luminosité serait exceptionnelle du fait de son ouverture en angle sur la rue perpendiculaire à la ruelle du café, le soleil filtrerait à travers les vitres durant une longue période de la journée. Chiara, imaginait déjà comment elle aménagerait son lieu de travail, mais avant tout cela, il lui fallait signer le contrat puis procéder à un ménage de fond et une remise en état des montants en bois de chaque vitrine, enfin il lui faudrait effacer le nombre affolant de tag au mètre carré, présents sur la façade. En résumé ce vieux bâtiment aux allures délabrés était un diamant brut. Elle s'avança et sonna à la porte discrète qui se trouvait sur le côté de la vitrine et qui permettait l'accès à l'étage. Elle attendit un instant qui lui apparut comme une éternité et enfin quelqu'un ouvra la porte de bois sombre, c'était un vieux bonhommes grisonnant, aux airs grognon. Chiara le connaissait depuis petite, dans la rue tout le monde se côtoyait plus ou moins et même si elle ne discutait que rarement avec lui, elle l'avait vu régulièrement au bar d'à côté ou au café de sa tante. Il faut dire que c'était un client régulier, il venait chaque matin pour son café, surtout depuis la mort de sa femme il y a de cela quelques années. En voyant la jeune femme, il ouvrit la porte un peu plus grand et l'invitât à entrer, presque impassible il lui dit, après s'être retourné pour monter la volée de marche sombre et étroite:
- « Tu as de la chance que ta tante soit passé me voir petite, il y a encore à peine quelques heures on me faisait une offre des plus alléchante pour ce vieil atelier. Des voyous qui pensent que je n'ai pas de parole. J'ai promis à 'Tina que je te louerais pour un prix raisonnable et je ne suis pas homme à faire des promesses en l'air. Et je crois même avoir une offre à te faire. À condition que tu fasses de ce nid de poussière quelque chose de bien. »
- « Voyons ça ensemble oui, c'est vrai que je ne sais pas ce que ferait sans elle. Et promis mon cher Pablo, cet atelier sera la prunelle de mes yeux, tout ce que je demande c'est un lieu pour pouvoir pratiquer ma passion et mon travail dans de bonnes conditions, je vais enfin pouvoir réellement me poser à mon compte. Ce lieu est vraiment le plus beau lieu dont je pouvais rêver. »
Il étaient désormais installé dans une petite cuisine qui sentait très légèrement le moisi et le persil. Pablo poursuivi :
- « Tu es pourtant jeune, pourquoi être si pressée? »
- «  Je ne suis pas si jeune que ça, j'ai 24ans, et j'ai eu la possibilité de faire quelques années à l'étranger pour parfaire mon apprentissage. Désormais je crois que j'ai envie d'apporter du nouveau dans cette ruelle et puis je crois qu'il ne faut pas sous estimer la fragilité de la vie alors si j'ai les moyens de faire ce qui me fait vibrer, pourquoi attendre. J'ai la chance de savoir ce que je veux pour l'avenir. »
- « Si tu le dis. Tu as sûrement raison.»
-«  Bon alors qu'elle était donc cette proposition? », le jeune femme commençait à trépigner d'impatience elle avait hâte de pouvoir commencer la signature.
-« J'attendais de vérifier si ta motivation était assez grande, mais je n'en attendais pas moins de la nièce de 'Tina et Martha. Tu me semble être une bosseuse tout comme elles. Elles t'ont bien élevée. Heureusement qu'elles étaient là pour prendre les choses en mains après... »il se stoppa comme gêner d'avoir mentionné ce triste événement.
-« Oui effectivement, heureusement qu'elles étaient présentes pour m'accueillir après la mort de ma mère. Mon père n'était pas en capacité de me gérer à ce moment et maintenant qu'il moisi en prison... bon ce n'est pas tout mais j'ai bien envie de savoir ce que tu veux me proposer. »
-« Tu as raison. J'ai pensé que tu pourrais acheter l'atelier petit à petit. Je t'explique. Je vais te demander un loyer régulier, pas très conséquent certes, mais je vais garder cette somme dans mes comptes et je soustrairais cette somme chaque mois au prix de ce que vaux l'atelier. Comme cela au bout de quelques années il sera à toi. Bon, bien sûr cela risque d'être long à moins qu'un jour tu réussisse à amasser assez pour compléter l'achat avant... »
- «  Mais tu es fou! C'est beaucoup trop, je te suis déjà reconnaissante de me le louer. »
- «  Est-ce que tu sais quel âge j'ai jeune fille? Non? Je vais te le dire, j'ai 72 ans et cela fait maintenant 4 ans que j'ai pris ma retraite, depuis la mort de ma femme qui tenait la boucherie à mes côté. Je n'ai ni enfant, ni famille susceptible de récupérer ce tas de ruine. Tu me donnes l'opportunité de donner une seconde vie à ce lieu. Je touche une petite retraite et ton loyer sera un complément bien suffisant. De plus je ne pense pas faire de vieux os. Alors tu serais idiote de ne pas accepter. »
- « Je.. vous êtes tous trop bons. Je ne sais pas comment te remercier, tu ne me connais pas tant que ça et pourtant, tu me donnes ta confiance. J'accepte avec joie et tu as ma parole que ce lieu vivra encore de belles années. Laisse moi prendre un crayon et je signe cela tout de suite. »
C'est avec les mains tremblante, d'excitation et d'émotion qu'elle signa.
Il burent ensuite un thé tout en discutant de tout et rien . Et ce fut le moment de la remise des clefs.
Lorsqu'elle descendit, la journée arrivait à sa fin.
Avant de remonter la ruelle elle ne put s'empêcher d'entrer dans son nouveau lieu de travail et de création.
Malgré la poussière elle s'accouda au comptoir et elle ne put s'empêcher de laisser échapper un soupir d'allégresse.
Elle repensa à tout le chemin parcouru jusqu'à aujourd'hui et la mélancolie la gagna.
Demain elle reviendrait commencer le ménage avant de travailler au restaurant.
Le week-ends elle travaillait chez Tina, cela lui permettait de recevoir un petit salaire complémentaire et le reste du temps elle travaillait au restaurant de sa deuxième tante , Martha, le « All'alamato ».
La fatigue commençait à pointer son nez alors elle quitta les lieux en prenant soin de refermer derrière elle et de regarder encore un peu son nouveau nid. Lorsqu'elle fut rentré dans son petit appartement sous les toits, elle ne tardât pas à s'endormir, le sourire au lèvre.

Nos regards opposésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant