II . Des Nouvelles

0 0 0
                                    

    Chiara se réveilla de bonne heure le lendemain matin, elle noua ses cheveux en un chignon grossier, passa de l'eau fraîche sur son visage avant de fixer le petit miroir face à elle. Elle avait les yeux verts olive moucheté d'ocre, des lèvres bien dessinées et une peau allée. Sa chevelure folle avec ses larges boucles lui plaisait, quoique parfois hirsute elle aimait cette épaisse tignasse comme celle de sa mère... La jeune femme habitait sous les toits dans un petit appartement qui se trouvait non loin du café. Ce n'était pas bien grand, mais cela ne gênait en aucun cas Chiara, qui y trouvait un confort certain. Lorsqu'elle tapissait, elle avait à peine la place de circuler entre la chambre et la cuisine qui, d'ailleurs, n'était séparées d'aucuns mur. C'était une sorte de chambre de bonne. Seule la salle de bain était séparée du séjour. Le seul inconfort qu'on eu pu lui trouver était lié à la température. Lorsque la saison chaude débutait, il y faisait très vite chaud en raison de son emplacement en hauteurs et surtout sous les combles. Heureusement Chiara n'y passait pas tout son temps entre le travail au café et celui au restaurant.
    Lorsqu'elle eu terminé de se préparer elle sortit par l'arrière de la maison qui donnait directement dans la rue pavé. À quelques mètre de là, se trouvait le restaurant de Martha et Eugenio et, encore plus bas, on se retrouvait devant le café, « Chez Tina ». Cette  grande famille était de ces famille qui s'étaient installés dans la même rue et qui se côtoyaient sans cesse, une famille unie jusque dans leur localisation. Cette ruelle avait vu vivre nombres d'enfants ces dernières années. Chiara considérait d'ailleurs ses cousins et cousines comme des frères et sœurs à force de vivre auprès d'eux, et cela même avant la perte de ses parents. Ils avaient passés tellement d'été comme celui-ci à courir d'un bout à l'autre de la rue, rejoignant le petit port qui se trouvait encore plus bas dans le village. Déjà à l'époque ses cousins Carlo et Nerio jouaient aux protecteurs, Bianca se retrouvait toujours à devoir gérer les problèmes que créaient les autres. Malgré le fait qu'elle ne soit pas la plus grande, elle avait toujours été plus raisonnable que son grand frère, Gian. Ce n'était pas lui qui allait tenir le rôle de l'aînée, il était un exemple à suivre uniquement si leur but était, de faire des bêtises et de se mettre en danger. Il faut dire qu'ensemble Lyna et Chiara n'était pas plus prudentes.
En tout ils étaient sept, sept enfants plus ou moins grands et toujours ensembles. Tina était la mère de Gian et Bianca qui avaient désormais vingt-neuf et trente deux ans. Gian était devenu dentiste, et raisonnable depuis la naissance d'Alma sa fille, il y a trois ans de cela. Il habitait Palerme avec sa compagne. On ne le revoyait qu'occasionnellement. Bianca quant à elle avait également eu un enfant, Ernesto, un petit garçon de six ans. Elle était revenue par ici après sa rupture et élevait le petit seule. Elle travaillait avec sa mère comme Barmaid. Carlo, Nerio et Lyna étaient les enfants de Martha, sans oublier Matteo le petit dernier. Carlo avait maintenant vingt-huit ans et un petit garçon de deux ans nommé Enzo, il logeait non loin d'ici avec Maria, sa compagne. Nerio avait 25 ans, il ramenait une fille différente pratiquement chaque mois, Martha attendait avec impatience le jour où il leur ramenait enfin « la bonne » . Les deux frères travaillaient au petit port. Carlo était technicien nautique et Nerio était Docker (chargé du déchargement des cargaisons). Lyna qui avait 24 ans comme Chiara était également restée dans les parages et travaillait dans le restaurant de sa mère. Elle avait rencontré son copain  Valentino il y a deux ans maintenant. Matteo qui n'avait que dix-sept ans, était encore loin de savoir où ses pas le guiderait plus tard, en revanche il fréquentait une jeune fille encore inconnue de la famille mais qui semblait devenir de plus en plus importante à ses yeux, l'on ne doutait pas de la voir bientôt. En résumé tous avaient une situation amoureuse et même familiale sauf Chiara. Mais cela ne l'ennuyait aucunement, car sa passion était sa priorité, elle ne voulait pas se presser, et même si parfois elle eu pu avoir quelques espérances, elle finissait toujours par se raisonner afin de pouvoir suivre sa voie.
C'est sur ces réflexions que Chiara arriva devant la vitrine de son futur atelier, il était à peine huit heure. En voyant la masse de travail qu'il lui faudrait pour rénover tout cela elle chancela un instant avant de se reprendre, plus motivée que jamais. Il lui fallu presque quatre heure pour dépoussiérer les lieux. Quelques touristes et habitants avaient osés un coup d'œil à travers la double porte ouverte, curieux de savoir ce qui se tramait ici, mais la matinée avait été plutôt calme et étonnamment fraîche. Lorsque l'heure du déjeuner arriva, Chiara avait déjà fermé la vitrine afin de filer en direction du restaurant. En cette période d'été, la ville, malgré sa petite taille, se remplissait de vacanciers. C'était dans les environs de treize heure que l'affluence était la plus haute mais c'était également l'heure de prise de fonction de Chiara. Lorsqu'elle arriva sur place, quelques personnes étaient déjà attablées. Une odeur fruits de mer et autres fritures flottait déjà dans l'air et le bruit des couverts contre les assiettes résonnait déjà dans la petite salle et sur la terrasse. Chiara enfila en vitesse son tablier de serveuse. Et entra dans la cuisine. Martha s'y affairait déjà, elle donnait des instructions à Lyna tout en remuant ce qui semblait être la sauce pour les moules. Elle était plus petite que sa sœur Tina mais plus large en revanche. Ses cheveux étaient parfaitement plaqué et tirés en un chignon bas, ils avaient du être châtain mais tiraient désormais au poivre et sel. Sa peau tannée par le soleil faisait ressortir ses yeux bleus claires, pétillants. Elle était la plus jeune des sœurs mais elle paraissait toujours plus marquée malgré sa mine joviale et son visage rond. Lorsqu'elle vit Chiara entrer, elle lui fonça dessus en s'exclamant :
-« Te voilà ! Tu arrives à temps, des clients attendent leurs sardines Beccafico! (Plat à base de sardines typique en Sicile). Table quatre. »
À peine avait elle dit cela que Chiara se retrouva avec un plat entre les mains et une tape dans le dos.
Lyna occupée à la cuisson des poissons, lança un petit regard amusé à sa cousine avant de reprendre le travail. En arrivant près de la table des Sardines, Chiara intercepta des bribes de discussions qui la firent frémir:
-« Que vient de nouveau faire la mafia par ici? Tu es sûr de toi? »
La jeune femme se figea un très bref instant essayant de capter la suite de la conversation qui se déroulait un peu plus loin, mais ce repris vite en voyant que d'autres clients attendaient pour passer commande. Le reste du service se déroula à une vitesse fulgurante, il n'y avait pas un moment de creux et durant tout ce temps Chiara était un peu ailleurs, la tête pleine de questions.  Était ce vrai? Que faisait la mafia ici de nouveau? Était-ce la mafia sicilienne? Était ils liés à son père ? Elle fit quelques erreurs et manqua une fois de renverser son plateau.
Martha remarqua que quelque chose perturbait la jeune femme et elle qui avait des oreilles partout savait, peut-être, de quoi il s'agissait. Des échos concernant le retour de la mafia au port avaient fait le tour du village ce matin. Cela avait beau faire seize ans que la mère de Chiara avait été tué dans un conflit de mafieux, la jeune femme était encore très affecté par l'événement, et cela malgré les apparences. Cette gamine se battait chaque jours comme une lionne pour vivre de sa passion et dépasser ses vieux démons, tout ceci avec le sourire et une détermination sans bornes. Elle avait même réussi à obtenir une bourse pour faire une partie de ses études de tapissière en France, l'année passée. Tout le monde avait été inquiet mais elle est revenue encore plus décidée à faire de la tapisserie, son métier. Elle avait été courageuse  durant ses dernières années et  travaillait d'arrache pieds afin de pouvoir vivre, en attendant de trouver son atelier et de réellement vivre de ce savoir-faire. Elle avait de l'or dans les doigts, il ne faisait aucun doutes qu'elle trouverait une clientèle fidèle, enfin c'est ce que pensait Martha. La cuisinière et patronne se dit à elle même qu'il lui faudrait avoir une petite entrevue avec sa nièce adorée après la fin du service, afin de s'en quérir de son état d'esprit en cet instant. Elle pesta entre ses dents contre cette mafia qui n'avait pas fini de revenir hanter la famille. Martha et Tina avaient espérés ne plus jamais avoir affaire à eux.
Arriva la fin du service, Chiara s'occupa de fermer derrière les derniers clients. Elle se retrouva soudain nez à nez avec Maria, les bras croisés, adossée à l'embrasure de la porte de la cuisine.
-« Viens avec moi. Si tu crois que je n'ai pas remarqué comme tu es perturbée, tu te mets le doigts dans l'œil. Et n'essaie même pas de me fausser compagnie, je ne connais que trop bien ton talent pour esquiver toute discussion!»
Et sans laisser le temps à la jeune femme de répondre elle se retourna et parti en direction de la réserve. Lyna avait elle aussi remarqué le comportement de Chiara et s'éclipsa, non sans lancer un petit regard encourageant à sa cousine.
Ne sachant pas trop à quoi s'attendre Chiara emboîta le pas de sa tante. Martha pouvait parfois avoir l'air sévère mais elle était cependant la plus soucieuse des deux sœurs. Chiara quant à elle détestait parler de ses problèmes alors que tous, autour d'elle avaient déjà leurs problèmes et une famille à entretenir. Que l'on ait remarqué son état d'âme lui donnait l'amer sentiment d'avoir échouer à montrer qu'elle était plus forte que cela.
Une fois la porte fermée derrière elles, Martha entamât la discussion après un long silence étrange.
-« Bon ma fille, j'attendais que tu me fasses part de tes inquiétudes toi même, mais je crois que je dois te tirer les vers du nez.
J'ai des oreilles partout et je pense avoir une idée de se qui te tracasse au point de perturber ton professionnalisme habituel.
- Martha je t'assure que ça va, j'ai simplement entendu des échos qui m'ont effectivement perturbés et qui je l'avoue m'ont amené à me poser plus de questions que nécessaire. Mais je t'assures que tout va bien maintenant et que je n'ai pas plus que ça envie de t'embêter avec des petites inquiétudes sans importance.
- Ah non! Pas à moi. C'est cette histoire de retour de la mafia ici, n'est-ce pas ? Je ne crois pas que cela soit si peu important.
Tu ne dois pas penser que cela nous embête quand tu nous parles. Nous sommes ta famille et on parle de quelque chose qui touche d'ailleurs à notre histoire, à ton passé douloureux. Tu as beau tout faire pour nous rassurer ou même nous prouver que tu es heureuse. Cela ne veut pas dire que tu n'as pas le droit de te plaindre parfois ou de nous faire part de tes angoisses, combien de fois faudra t'il te dire que tu as le droit de ne pas toujours être bien? Tu as le droit de t'inquiéter et d'ailleurs tu n'es pas la seule à avoir des questions en suspens, à vouloir tirer un trait sur ce passé avec cette mafia de l'enfer. Moi même j'aurais préféré ne plus jamais en entendre parler alors je n'imagine pas comme cela doit te tendre. »
Chiara baissa les yeux, émue et gênée:
« -J'admet que j'aurais aimé de plus entendre parler, ça remue des vieux souvenirs douloureux et ça fait renaître toutes ses questions sans réponses. J'ai un peu peur que tout cela me rattrape et pourtant j'ai l'envie irrépressible de savoir enfin comment, qui et pourquoi on en est arrivé là. Papa n'a pas été en capacité de m'expliquer, ni même de vraiment me regarder dans les yeux depuis... »
Une onde de chagrin fit trembler la jeune femme qui se remémora les quelques images floues de ce triste événement mais surtout l'état de son père qui n'a plus jamais été le même. Torturé par sa culpabilité et son besoin de vengeance qui l'auront amené tout droit à la prison. Elle n'allait plus aussi souvent le visiter, consciente que cela ravivait chez lui des sentiments bien trop douloureux et que cela ne faisait que la chambouler d'avantage. Elle lui envoyait toujours des lettres, seul moyen qu'elle avait trouvé pour lui exprimer son amour sans réveiller les traumatismes de chacun. Son corps se mit à trembler imperceptiblement, elle retint une larme avec la force du diable. Et se força à redresser la tête. C'est alors que Martha la pris dans ses bras, une chaleur réconfortante émanait d'elle. Elle semblait triste elle aussi. Mais son étreinte était pleine de tendresse et de douceur. Elle embrassa sa nièce sur le front en lui tenant le visage de ses mains robustes mais étonnamment délicates et plongea ses yeux d'un bleu cristallin dans ceux de la jeune femme.
« - Espérons que ces voyous ne restent pas longtemps et ne viennent pas par ici. Et s'ils pointent leur nez nous nous chargerons de leur rappeler qu'ils ne sont pas les bienvenus. Je saurais les accueillir tu verras! Je ne veux plus rien avoir à faire avec cette racaille, ses fauteurs de troubles. Essaies de ne pas céder à cette curiosité, mieux vaut ne pas approcher la mafia. Je sais que c'est affreux de ne pas avoir toutes les réponses mais cela ne t'aidera pas d'aller remuer le passé.
-Je sais Ma'. Que cette rumeur soit vraie ou non cela ne me concerne plus.
-Bien dit. »
Elles sortirent de la réserve et Chiara remarqua que Lyna l'attendait. Lorsque que celle-ci vit les deux femmes sortir, elle se rua sur elles:
-« Bon maintenant je veux voir ce fameux nouvel atelier! Je te l'emprunte Mama. » lança t-elle en attrapant Chiara par le bras.
Chiara aimait la capacité qu'avait Lyna de détendre l'atmosphère. Elles partirent donc d'un même élan en direction du dit atelier. Sur le chemin elles tombèrent sur Nerio qui insista pour les accompagner. Tout trois ils firent le tour des lieux, Nerio et Lyna ne manquèrent pas de lui donner des idées pour les travaux, aussi motivés que s'il s'agissait de leur propre projet. Ils avaient d'ailleurs la ferme intention de donner un coup de main, même si Chiara avait répété mille fois que ce n'était pas nécessaire et qu'ils n'étaient aucunement obligés de le faire.
Ils finirent la journée dans la pizzeria du coin à discuter et manger dans la bonne humeur. Juste avant de se quitter Nerio l'arrêta avec un air sérieux :
-« Tu sais qu'on sera toujours là. » puis il afficha un grand sourire dont lui seul avait le secret et parti rejoindre sa sœur qui l'attendait pour retourner voir leur mère. Lorsque Chiara se retrouva seule dans son appartement elle s'affala sur le lit, pensive. Elle se sentait affreusement seule en cet instant et vulnérable. Un étrange pressentiment lui disait qu'elle n'en avait pas fini avec la mafia et l'angoisse ressurgit. Elle se redressa pour prendre le cadre de ses parents sur sa table de chevet et elle s'endormit peu de temps après, épuisée par tant d'émotions.

Nos regards opposésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant