Chapitre 1

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Après des études ennuyeuses à mourir, des débouchés quasi inexistants et une vie amoureuse qui était partie en vrille, Lucie avait pris un virage à 180 degrés à l'aube de ses trente ans. Oubliées les études d'histoire, terminées les histoires d'amour - parce qu'elles finissent toujours mal, de toute façon - Lucie était désormais détective privée dans une petite boîte du sud de la France. Au moins, dans son nouveau métier, elle pouvait bouger un peu, changer qui elle était le temps d'une enquête, s'oublier dans le boulot plutôt que dans l'Histoire de la Renaissance. C'était moins poussiéreux... quoique la quantité de paperasse ne soit pas négligeable. Bon, Lucie n'était qu'aux prémices de sa carrière et les missions auxquelles elle était affectée n'étaient pas toujours les plus palpitantes, et souvent un peu redondantes. Mais il fallait en passer par là pour progresser, se faire la main pour ensuite envisager de gravir les échelons, et peut-être même ouvrir sa propre agence.

- Lucie ?

La voix de sa patronne, Charline Hebert, la tira du rapport qu'elle était en train de rédiger. Lucie retira ses lunettes de vue et leva les yeux vers la directrice de l'agence.

- Je t'ai apporté un café.

- Merci, Charline ! Comment s'est passée ta nuit de filature ?

Charline étouffa un bâillement. Elle avait pris sa matinée pour dormir, mais ce n'était jamais assez pour rattraper une nuit blanche.

- Non concluante, soupira-t-elle.

- Merde !

- Comme tu dis... Mais je vais finir par trouver le petit truc qui va débloquer l'affaire, comme toujours, sourit-elle, à moitié cachée par sa tasse de café. Et toi ?

- Pas grand-chose. La matinée a été calme. J'étais en train de finir d'écrire mon rapport de fin de mission avant de te le faire signer pour le transmettre au client.

- OK. Dès que t'as fini, imprime-le et amène-le-moi. J'ai un rendez-vous dans 30 min avec un potentiel client, si tu pouvais être présente, ça m'arrangerait ! Les clients aiment bien voir qu'on est plusieurs sur le coup, ça les rassure, termina Charline en levant les yeux au ciel.

Elle n'avait pas tort, Lucie l'avait remarqué, elle aussi. Les gens avaient plus confiance dans une équipe que dans une personne seule, comme si c'était une assurance supplémentaire, un filet de sécurité en cas d'échec d'une des détectives. En réalité, Charline et Lucie n'empiétaient jamais sur les missions de l'autre, sauf demande explicite de l'une d'entre elles.

Lucie s'accorda quelques minutes de pause, le temps de savourer son café au lait. De toute manière, elle n'aurait pas le temps de finir son rapport avant l'arrivée de leur rendez-vous de 14 h 30, alors autant avoir l'esprit clair.

Lorsque le client arriva, Charline l'installa dans la salle de réunion, Lucie apporta de quoi se désaltérer, et toutes deux s'assirent du même côté de la table. Munie de son bloc-notes, Lucie écouta sa patronne, puis le client :

- Mon frère a mis fin à ses jours. La police a conclu à un suicide, mais je n'y crois pas une seconde. Mon frère n'était pas comme ça, il n'aurait jamais abandonné sa famille. Je crois qu'on le faisait chanter.

Lucie dut se retenir de lever les yeux au ciel. Les proches avaient souvent du mal à comprendre pourquoi leur frère, leur mère ou leur cousin mettait fin à ses jours. Surtout quand il n'y avait aucune lettre d'adieux. Lucie savait. Oui, ça, elle savait le choc que ça provoquait. Elle ne s'en était d'ailleurs toujours pas remise, trois ans après, et elle pria pour que Charline ne lui confie pas cette affaire. C'était un sujet encore trop compliqué pour elle, et si elle avait évoqué la mort de son compagnon avec sa patronne, elle n'avait jamais expliqué ce qu'il s'était réellement passé. C'était une chose qui lui appartenait et qu'elle ne souhaitait pas divulguer. Alors, elle répéta mentalement « s'il te plaît l'Univers, ne me colle pas cette affaire sur le dos ».

Coeurs sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant