Chapitre 5 - Nemo

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Nemo

Nous contemplons un hyriniame derrière un gros rocher couvert de mousse jaune.
Il doit faire à-peu-près 2,50 m de longueur. Contrairement à son cousin l'hippocampe (beaucoup plus petit), l'hyriniame possède une multitude d'écailles changeantes. Elles revêtent des couleurs selon leur humeur, mais peuvent aussi s'avérer très utiles pour se fondre dans le paysage lorsqu' un prédateur les menace.
De nature pacifique, I'hyriniame apprécie la vie on communauté, et ne s'éloigne jamais d'un groupe constitué de ses semblables.

Or, celui-ci est isolé, ce qui m'intrigue. J'interroge Héria.

-Les hyriniames ne se déplacent-ils pas habituellement par groupe?

- Oui, c'est étrange que celui-ci se promène tout seul, répondit-elle.

Je l'observe un peu plus attentivement, dissimulé par notre pierre pour ne pas l'effrayer.

Je remarque la couleur de ses écailles ; orange vif, pareille à une étoile de mer. Je n'en connais pas la signification.

- À quelle émotion correspond cette teinte? demandai-je.

Héria se tait quelques instants, et se mord la lèvre inférieure. Elle fait tout le temps ça lorsqu'elle réfléchit.

- À la douleur, je crois.

Je me raidis. La douleur ? Je m'approche de l'hyriniame, quitte à lui faire peur.
Il faut que je vérifie qu'il n'est pas blessé.
Je me propulse d'un coup de nageoires, et ce que j'aperçois me glace le sang : une lance aux lames dentelées figée dans sa queue.

Je recule, sous le choc. Héria me rejoint, curieuse de la raison de mon tourment.

Lorsqu'elle remarque la blessure du cheval de mer, elle blêmit. Les traits de son visage prennent la forme de l'inquiétude, et elle jette des regards frénétiques autour d'elle.
Elle ouvre la bouche puis la referme, avant d'annoncer d'une voix tremblante:

- Nous ferions mieux de partir... Nous nous trouvons à trop grande proximité de la surface. Il ne serait par sage de rester ici, surtout au vu de la menace présente, murmure-t-elle en désignant du menton l'arme.

- N'importe quoi ! répondis-je avec vélémence. On est suffisamment loin de la surface. Et puis, on ne peut quand même pas l'abandonner ici ! Il tiendra à peine quelques heures avec les prédateurs !

Héria soupire.

- Nemo, je ne tiens pas à discuter avec toi. On y va, un point c'est tout.

- Mais il va mourir si on ne fait rien !

- Peut-être, mais cela ne rélève pas de notre responsabilité. C'est le cycle de la vie, c'est naturel !

Comment peut-elle dire des choses pareilles ? Toute créature de l'océan se doit de porter secours à son congénère s'il se retrouve en difficulté.
C'est une sorte de code moral.

- Tu peux y aller, si tu le désires. Moi, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour le soigner, et je compte rester ici jusqu'à ce que l'hyriniame se rétablisse.
À toi de décider si tu veux m' apporter ton aide, déclarai-je en croisant les bras.

Je ne comptais pas flancher.

Héria me contemple longuement, semblant peser le pour et le contre.
Elle finit par capituler en se rendant compte que je n'abandonnerai pas.

- J'accepte, mais uniquement si tu ne te mets pas en danger. Et au moindre signe de menace, on file, compris?

Ouf. Je ne lui aurais jamais avoué, mais rester totalement seul, ça m'effraie un peu. Mais un tout petit peu.

Je lui offre un grand sourire.

En tant que sirènes, nous possédons un lien avec les animaux marins. Il suffit de se concentrer, de le trouver, puis de le consolider.
Mais plus l'animal est grand, plus la tâche est ardue. Créer un lien avec un hyriniame va me demander un effort colossal.

Je m'approche le plus lentement possible, sans faire de mouvements brusques.
J'essaie de me concentrer sur ce qui m'entoure.
L'immensité bleutée qui nous encercle de toutes parts, une raie qui ondule gracieusement, une anémone qui étend ses tentacules vers le haut, un poisson qui se faufile entre les massifs de coraux...

Mais je n'arrive pas à capter la présence de l'hyriniame.
Je réessaie. Même résultat.
Alors que je retente une dernière fois, Héria me tire de ma concentration :

- Bon, on ne va pas y passer la journée. Je vais le faire, j'ai plus d'expérience.

Elle s'approche à mon niveau. Elle ferme les yeux quelques instants et se mordille la lèvre.
Lorsqu'elle les réouvre, je distingue une lueur de triomphe dans ses yeux.

- Parfait ! T'es vraiment forte ! dis-je pour dissimuler mon amertume.
Peu importe mes efforts, je sais que je n'arriverai jamais à un tel niveau de maîtrise.

Pour faire taire mes pensées, j'examine la plaie de l'animal. Elle me paraît salement infectée, avec tout le sel qui s'est incrusté dans sa blessure.
Une lance avec une lame recourbée de telle façon...
Incurvée vers le bas, aucune sirène n'en utilise de telle.

Je formule tout haut la question qu'Héria se pose sûrement tout bas :

- Tu penses que ce sont les humains qui lui ont fait ça ?

Nemo et AmiraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant