Chapitre 1: Achronie

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Clio était allongée sur un canapé, les jambes étalées sur le dossier, la tête frôlant le sol, ses longues boucles auburnes étalées sur le tapis. Le monde autour d'elle était flou, les cygnes, les cartes et les manuscrits ornant le plafond semblaient mêler leurs couleurs, mais la Muse se sentait bien dans cette position. Le cerveau inondé de sang, ses yeux saphir scintillants de taches multicolores, la notion de temps avait au moins un peu de sens. Un tout petit peu. Cette chambre était un lieu un peu étrange, mais c'était sa maison.

Le seule endroit où elle pouvait se sentir bien. Et encore, seulement quand sa position devenait chaotique. Parce que, malgré l'écoulement du temps, malgré tous les jours passés, l'Historienne ne maîtrisait pas ses pouvoirs, chaque pas l'amenait dans un siècle différent, l'Olympe de ses errances se métamorphosait autour d'elle, se déplaçait en suivant les centres de civilisations héritières, Rome, Paris, Londres, New-York, la Hanse, Barcelone, Venise ou Florence, parfois de retour en Grèce, les cités sous ses pieds changeaient et découvraient leurs merveilles sans qu'elle sache en profiter, l'esprit brouillé d'informations multiples, de mots imprimés d'un vert fluorescent devant ses yeux, comme une tapisserie qu'elle ne pouvait dégager.

Dans la chambre à côté, Uranie et Hécate se disputaient. Encore. Ça arrivait souvent, sans que Clio comprennent réellement pourquoi, elles auraient pu s'entendre pourtant, elles avaient des caractères assez similaires. De ce que l'Historienne déchiffraient, Hécate utilisait l'astrologie et les prophéties stellaires, ce qui rendait Uranie complètement folle car les étoiles étaient simplement des corps célestes, auxquels les humains attribuaient des souvenirs et des légendes, sans aucune influence autre que celle de la mécanique universelle. Uranie, avec ses cheveux de jais parsemés de reflets argentés, ses grands yeux orageux et sa peau mate avait l'air d'une reine, et elle se comportait comme telle. Avec clémence tant qu'on ne niait pas sa chère rationalité.

Un soupir s'échappa des lèvres de la Muse allongée. Est-ce qu'elles ne pouvaient vraiment pas se disputer moins fort ? Non seulement elles dérangeaient probablement toute la résidence, mais en plus, si ça continuait, elles allaient rameuter Zeus et Héra depuis le palais principal, et ça ne serait pas agréable... Clio sentit qu'empêcher ça serait sa responsabilité. Encore.

Une grimace lui échappa. Se relever. Se tenir debout. Et se retrouver à nouveau prisonnière de la tapisserie du temps. Mais c'était nécessaire. En grognant, elle se redressa, tirant sur ses abdominaux, ramenant son buste à la verticale, elle balança ses jambes sur le côté, s'asseyant normalement sur le canapé, et immédiatement, le monde disparut derrière une espèce de voile noir, sur lequel se détachaient toutes les colonnes des siècles, leur enchaînement tranquille défilant devant elle.

« Uranie, Hécate, ça suffit, s'exclama la brune en sortant de sa pièce, vous allez ameuter tout l'Olympe... »

Chaque pas lui coutait. À chaque geste, une nouvelle temporalité s'ouvrait. Tout son corps se tendait vers les éclats de voix.

« Uranie, s'il te plaît, arrête... Héra va encore s'énerver...

— Clio, s'étonna l'Astronome en ouvrant la porte, tu es sortie de ta chambre ?

— Oh arrête, je n'y suis pas tout le temps...

— Ouais, y a des fois où tu sors, soupira Uranie, mais on sait toutes que tu détestes ça...

» Oulà, ça va ??? »

Clio s'était effondrée sur le sol, les mains plaquées sur les oreilles, l'esprit percée d'une alarme entendue d'elle seule, le monde clignotant sous ses yeux, la laissant à bout de souffle, perdue, les colonnes d'informations historiques se déroulant à toutes vitesses dans son esprit, une colonne brillant en rouge au milieu du vert habituel, des tremblements de froids se mirent à la secouer violemment, ses dents claquaient, il n'y avait aucun son lui parvenant à part cette horrible alarme, qui résonnait, encore et encore, elle ne sentait rien, le monde avait comme disparu, elle ne put que gémir douloureusement « problème... ».

A travers le tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant