10°* Réminiscence

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Lorsque je passe la porte d'entrée, une irrésistible envie d'aller dans ta chambre m'envahis.

Je succombe à la tentation.

La semelle de mes chaussons résonne dans la maison silencieuse. D'un pas trainant, je m'avance, effleurant le mur recouvert de papier peint jaune délavé. Je m'arrête un instant, contemplant les photos de familles accrochées au mur, sur lesquelles tu n'apparaitra plus. 

Je reprends ma marche, lente, lourde, maladroite. Face à moi, deux portes. L'une d'entre elles mène à ta chambre. 

Je respire un grand coup, puis actionne la poignée. Je dois forcer un peu pour ouvrir la porte qui est restée fermée ces derniers jours. 

Puis je pénètre ton antre. 

Les volets sont clos. 

Dans la pénombre de la pièce, un silence de mort règne en maitre. J'examine les lieux d'un œil critique. Mes yeux parcourent les murs couverts de papier peint gris clair. Je te revois le poser, du haut de ton escabeau. La peinture blanche du plafond s'écaille  à plusieurs endroits.

Le parquet grince sous mes pas.

Je tire les rideaux gris et ouvre en grand les fenêtres. J'observe la dance de cette multitude de particules de poussière que les rayons du soleil me révèlent. A côté de moi, ton bureau en bois n'a pas bougé. J'inhale une grande bouffée du mélange de ton parfum et de l'odeur de désinfectant qui imprègne encore l'air.

Finalement, je me retourne.

Mes yeux se posent sur le lit deux places qui prend une grande partie de la pièce. Les draps d'un blanc méticuleux ne me paraissent pas propice au lieu. Un sentiment indescriptible m'étreint.

Car je te revois dans tes derniers instants.

Ton corps jauni par la maladie, tes râles rauques - derniers vestiges de ta voix grave. Ton crâne dépourvu de cette masse de cheveux blancs qui te prenait tant de temps à entretenir. Cette machine reliée à ton corps amorphe par des dizaines de minuscules aiguilles.

Je revois clairement cette image de toi, quand tu étais au plus bas.

Je n'en ai eu qu'un aperçu rapide, fugace. Car ce jour là, le jour où je t'ai vu pour la dernière fois, je n'ai pas eu le courage d'affronter la vérité.

Je m'allonge sur le lit, froissant la couette.

Les yeux embués de larmes, ma respiration devient saccadée. Mon corps est pris de tremblements, je couvre ma bouche de ma main, pour étouffer un sanglot.

Je suis la seule à vouloir rester.

Je suis la seule qui ai pu rentrer dans ta chambre.  Je suis la seule a supporter toutes ces choses qui marquaient ta présence.

Pendant un cour instant, je te sens près de moi. Je sens tes bras puissants qui m'entourent d'une étreinte protectrice. 

Mais l'illusion s'évapore.

Je clos mes paupières, tentant de les ignorer - en vain - les images de ces dernières heures. Je me revois déposer une fleure sur le socle en bois. Je revois la boîte qui t'enferme se diriger lentement vers ce feu ardent.

Je n'ai pas détourné le regard un seule fois.
Je me suis infligée ce supplice de te voir brûler sans pouvoir te retenir.
Impuissante.

Je ne t'ai pas lâché du regard, pour t'accompagner jusqu'au bout.
Pour que tu ne sois pas totalement seul.

Je me recroqueville dans les draps blancs. Un torrent de larmes inonde mes joues. 

Et au centre de ma poitrine une étincelle du même feu qui t'a consumé c'est installé.

A.

FRAGMENTS DE CORPS✧⁠*°. || Recueil De Poèmes ||.°*✧Où les histoires vivent. Découvrez maintenant