Louna

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Depuis toute petite, j'écrivais. D'abord dans des journaux intimes, ceux où il y avait une petite clef pour les fermer, que je finissais toujours par perdre, d'ailleurs. Finalement, ce n'était pas très grave, j'arrivais quand même à ouvrir le carnet avec un peu de persévérance. Après, j'ai eu des cahiers blancs tout simples. Ceux-là, ce n'étaient pas mes préférés, je n'ai jamais su écrire droit. Du coup, je suis passée aux carnets à lignes. J'adorais pouvoir en choisir avec de jolies couvertures à la librairie. Puis, ayant raison de la génération dans laquelle j'étais née, je me suis mise à l'ordinateur. Il fallait dire que c'était bien plus simple, l'écriture était plus rapide, pas de risques de se tromper, l'organisation était magique. J'ai toujours trouvé pourtant que cela rendait les choses moins spontanées. L'erreur n'était pas permise sur ordinateur, aucune rature ni tâche d'encre. Il m'arrivait de temps en temps de ressortir un vieux carnet et de le remplir. Les pages pouvaient défiler, j'avais des choses à rattraper. J'adorais pouvoir me confier sans aucune peur d'être jugée. C'était libérateur.

Malheureusement, la vie étant ce qu'elle était, je n'avais plus beaucoup de temps à consacrer à l'écriture. Je me rendais à la faculté de droit en ayant ce genre de réflexions. Des écouteurs dans les oreilles, la tête collée à la vitre du bus, mon esprit vagabondait sans cesse. J'avais toujours trouvé cela épuisant, la manière dont mes pensées ne paraissaient jamais cesser. Il faut dire cependant que depuis deux ans, cela m'avait grandement servie. Non pas que nos capacités d'élaboration étaient vraiment exploitées en droit, nous nous contentions d'apprendre des choses par coeur et de les recracher. Mais je pense que j'avais certains avantages à force d'avoir développé cette pensée critique. Je n'étais jamais à court d'arguments dans un débat et je pouvais écrire des pages de dissertations sans me lasser. J'entrais en troisième année et notre promotion s'était grandement réduite au fur et à mesure. C'était ma dernière année de licence et je me sentais en compétition avec tous les autres qui souhaitaient un master. Ça allait être la guerre et j'étais prête. Ma mère m'avait toujours dit que j'étais la plus ambitieuse de la famille. Je n'ai jamais osé lui dire que ce n'était pas bien compliqué étant donné qu'elle n'avait fait aucune étude et qu'elle était la seule famille que j'avais. À vrai dire, mon père était peut-être plus ambitieux que moi mais je ne le saurais jamais. Il nous avait quitté quand j'avais quatre ans pour partir à l'étranger et ne plus jamais revenir. Ma mère m'avait expliqué que c'était pour une opportunité professionnelle. Si vous voulez mon avis, je pense surtout qu'il avait une autre famille, à l'autre bout du globe. Nous n'avons pas eu de ses nouvelles depuis mes dix ans, je crois. Quand j'étais petite, j'étais malade de jalousie d'imaginer que, peut-être, il avait une autre petite fille dans son nouveau pays. Maintenant, je m'en foutais un peu. Je n'ai aucun souvenir de mon enfance avec lui. Ça a toujours été moi et ma mère et ça me convenait bien. Mes rapports avec ma génitrice n'étaient pas excellents mais on se supportait. Du moins, maintenant que j'avais un petit appartement dans le centre de Lyon que j'arrivais péniblement à payer grâce à mon job étudiant dans une boîte de nuit. Les horaires de nuit étaient plutôt bien payés et les pourboires n'étaient pas négligeables. Pour peu que l'on mettait un haut légèrement décolleté, ils voulaient tous vous offrir des verres et de l'argent. Cela m'allait, je n'avais pas de problème à vendre mon corps dans ce contexte. S'ils étaient assez bêtes pour penser que j'allais coucher avec eux à la fin de mon service, c'était leur problème. Et puis, si j'avais des emmerdes, je pouvais compter sur mon collègue préféré, Maël. Il avait une autorité naturelle et il inspirait le respect, même de la part de mecs bourrés ce que je considérais comme un exploit. Il était très protecteur avec moi et cela m'arrangeait bien étant donné le public qu'accueillait la boîte où je bossais.

-Coucou Lou ! M'a crié une voix que je reconnus immédiatement comme celle de ma meilleure amie, Nour.

Je lui offris mon plus grand sourire en lui faisant un câlin. Elle m'attendait à l'arrêt de bus, sur le campus de l'université, comme tous les jours des années précédentes. Nous nous étions rencontrées au lycée et nous ne nous étions plus quittées depuis. Elle était en sciences politiques et je ne l'avais presque pas vu pendant sa première année. L'année dernière, nous avions pris l'habitude de nous retrouver avant et après nos journées de cours respectives pour rattraper le temps perdu. C'était la fille la plus intelligente que je connaissais et je l'admirais beaucoup. Ce qui ne l'empêchait pas d'adorer faire la fête quand elle n'était pas en période de révisions. Elle s'était faite toute belle en ce jour de rentrée, ses cheveux noirs ondulés sur ses épaules et son éternel rouge à lèvres vif.

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