ROSALIA BLANDITIA.
Je laisse la lame du couteau racler dans un bruit assourdissant contre le marbre. Les rondelles de tomate rouge rejoignent les vertes et les jaunes au fond du saladier en verre. Je saisis le persil sur le recoin de la planche à découper et les rince avant de les hacher. Un verre rempli d'une liqueur couleur pamplemousse s'abat subitement sur cette même planche. Le poignet qui tient celui-ci est joliment habillé par des bijoux en or et des fines ficelles tressées de couleurs dans les tons bleus et violets créant une mélodie aussi forte qu'un chuchotement agréable. Je redresse lentement la tête et découvre petit à petit une peau légèrement bronzée et des cheveux blond foncé en formes de vagues qui habillent des fines épaules avant de tomber sur des grandes prunelles dilatées, cachant presque cette couleur verte qui a l'habitude de rendre ses yeux vitreux par leur transparence. Un grand sourire enjoliveur s'installe sur ses lèvres, à peine plus claires que sa peau. Provoquant chez moi, le même que le sien. C'est ça avec Paula. Elle déteint sur tout ce qu'elle charme. Elle fait de nous le reflet de ses émotions. Avec un brin de rire dans sa voix elle parle sans même me lâcher des yeux.
- Una última copa. « Un dernier verre. »
À peine ai-je le temps d'inspirer pour lui donner ma réponse qu'elle reprend.
- Et je ne dirais pas à tià Chiara que tu lui a piqué ses joies precioses. « Bijoux précieux. »
Précise-t-elle en imitant celle-ci.Prise par la surprise je scelle mes lèvres entre elles. Mes lèvres se pincent et mes joues se gonflent. Je déteste le chantage, surtout celui de Paula. Encore moins lorsqu'elle utilise tia Chiara-Maria. Personne ne veut se frotter à elle. Les secondes s'écoulent pendant lesquelles nous nous regardons droit dans les yeux, pensant mener une guerre à qui tentera la colère de notre tante. Et bien sûr je ne la tenterai pas. Pas aujourd'hui du moins. La prochaine fois ça sera elle qui recevra ses foudres qu'elle lance à travers ses yeux beaucoup trop maquillés. Je finis par lever les yeux aux ciels. Je me penche à ma droite pour sortir une bouteille de liqueur du placard. Je le laisse couler dans son verre à hauteur des glaçons.
- Bé... « Bien. »
D'un grand sourire sur son visage elle plante son index dans son verre lowball et fait tournoyer l'ensemble de son contenant, faisant résonner le tintement des glaçons contre le verre et les rondelles de citrons verts dans la cuisine.
- Bona elecció germana gran ! « Bon choix grande soeur. »
Me gratifie-t-elle d'un clin d'œil.Je fronce du nez et puis d'un geste de la tête sur ma gauche lui fait comprendre de disparaître de sous mes yeux.
- Hé ! Pas de catalan sous mon toit jeunes filles !
Prise d'un sursaut, ma sœur et moi nous nous regardons avant de rire silencieusement. Elle part sur la pointe des pieds, évitant le regard sûrement lacérant de tia Chiara. Pauvre tante. Nous lui en avons en fait voir de toutes les couleurs avec Paula étant plus jeune.
Le catalan est une langue romane souvent transparente avec l'espagnol. Elle est issue de latin vulgaire. Cette langue est officielle selon le territoire où il est parlé, comme Valence, les îles Baléares et quelques autres mais ça reste peu. Bien que nous n'habitons sur aucun de ces lieux notre père a pris le temps de nous l'enseigner à ma sœur et moi. Car ma mère parlait cette langue autrefois. J'imagine que c'est un moyen de nous donner un peu d'elle a travers la langue. Paula et moi avons toujours eu l'habitude de le parler pour que personne d'autre que nous ne puisse entendre nos petits secrets. Mais un soir, lorsque nous lisions un livre Paula et moi au milieu de nos milliers de peluches, une illustration plus qu'amusante avait enivré notre imagination débordante de petites filles. Bien qu'elle fût très mal dessinée, vraiment très mal dessinée, elle nous avait fait penser à tia Chiara. Qui, par hasard, passait près de notre porte et nous avait réprimandées de ne pas être couchées. Le lendemain matin, tia Chiara avait demandé à notre père ce que voulait dire "tia lletja" et il n'avait pu se retenir de rire, ce qui avait le don d'énerver notre tante. Mais lorsqu'il lui avait dit la vérité, sa colère avait fait trembler nos lits. Après ça, il y eut une longue période où le catalan était notre couverture lorsque nos langues de vipères décidaient de s'exprimer ou bien que les bêtises se préparaient.
Aujourd'hui cela a pris un tournant différent, ou presque. Plus souvent c'est pour que Paula puisse boire un cocktail de plus ou bien que je puisse emprunter quelques bijoux à tia pour sortir en ville.
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MOREA
RomanceRosalia menait une existence douce et sereine jusqu'au jour où son chemin croisa celui de Colt, un mafieux redouté et énigmatique. Elle est rapidement entraînée dans un ballet tumultueux où leur amour s'entrelace avec les ombres du crime, une lutte...