Adel. Partie 1

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La peinture blanche était parfaite. Chaque planche du plafond était finement peinte, aucune aspérité n'était à déplorer. Pourtant, une immense tache noire se baladait sur le bois, une tache qui se déplaçait au gré des ballottements. Assurément, cette tache n'était pas réelle, elle n'était que le résultat de la fatigue qui se reflétait dans les yeux d'Adel, à l'instar des innombrables taches rouges, flashs et clignotements qui lui faisaient mal au crâne.

Elle resta longtemps à contempler cette tache qui commençait à disparaitre, bercée par le bruit des vagues et les acouphènes, amorphe. Elle fixait ce plafond, c'était son activité préférée depuis qu'elle avait pris la mer, il y a de cela plusieurs semaines... ou mois. Elle fixait la tache, elle regardait le plafond, mais, ce qu'elle voyait en réalité, c'étaient des bâtiments en feu, des batailles dans la nuit, des cris, des masses indiscernables de corps qui se mouvaient et se fracassaient et enfin elle, le souffle coupé, qui zigzaguait entre les obstacles, s'enfuyant lâchement de cet enfer qu'elle ne supportait plus.

Des coups à la porte, délicats, la tirèrent de ses cauchemars incessants. "Madame, nous approchons du restaurant" annonça la voix derrière.

Il lui fallut quelques minutes supplémentaires avant de trouver la force de se relever lourdement. Elle se rendit compte alors de ses douleurs dans le dos et du fait qu'elle n'était pas dans son lit comme elle le pensait, mais sur le sol dur et froid, entourée de bouteilles d'alcool. Des vins, calvados, whiskies et autres rhums, de très hautes qualités et valant une fortune pour certains, et de vulgaires piquettes pour d'autres. Elle tenta de faire craquer ses articulations et de s'étirer, ce qui n'eut d'effet que de la faire souffrir davantage.

L'annulaire droit. C'est bien ce qu'elle pensait, c'était l'annulaire droit.

Elle fixa sa main droite, une prothèse mécanique finement ouvragée dont chaque phalange, illuminées par les magnifiques dorures qui les habillaient, constituait une œuvre d'art. Après avoir essayé de la fermer, la cause de la gêne qu'elle ressentait depuis quelques jours se révéla. Son annulaire droit touchait à peine sa paume et refusait de se plier aussi loin que les autres doigts. Elle tenta tout de même de forcer avec son autre bras mécanique, mais ça ne changea pas le fait que le doigt ne se pliait plus naturellement.

"Alors, nous y sommes. Me voilà enfin touchée par la dégénérescence" soupira-t-elle.

Elle se releva enfin, lourde, courbaturée et se dirigea vers sa coiffeuse. Elle put admirer dans le miroir un effroyable spectacle dont elle était la metteuse en scène et l'actrice principale. Une actrice au teint blafard, qui perdait de sa chaleur et de sa vie chaque jour et dont le visage était tiré par d'effrayants cernes qui l'auraient fait sursauter si elle ne s'y était pas habituée. Sa coiffure criait au manque cruel d'entretien, une frange brune qui n'avait pas été coupée depuis bien trop longtemps lui cachait légèrement les yeux et de longs cheveux gras, dont les premières mèches blanches apparaissaient à peine, s'étaient emmêlés dans les grâces sur son crâne. 

Ses grâces, ses prothèses mécaniques, trahissaient des origines de la haute société. Accrochées aux côtés de son crâne, deux épaisses pièces de métal de la longueur d'un avant-bras tombaient jusqu'à ses épaules. Elles ressemblaient beaucoup à des oreilles de lapin, étaient creuses à l'intérieur et étaient articulées et en capacité de bouger à la volonté de leur porteur. En plus de cet encombrant attribut, une demi-auréole coiffait le sommet de sa tête. Rare était ce type de grâce et pour cause, on n'en voyait que parmi les cercles les plus proches de l'élite religieuse ou des classes dominantes. Il n'y avait même pas besoin de connaître l'utilité concrète de ces antennes pour le deviner : la finesse et le métal doré avec lesquels ses prothèses avaient été conçues étaient largement suffisants pour que le moindre péquenaud devine que, jamais de toute une vie, il ne pourra se procurer tel objet.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 15 ⏰

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