Macrâle: l'enfance d'une sorcière de Belgique

26. Le secret de Mère Brasseur

Admettre la perte de Clio fut un crève-cœur pour chacune. Ce que nous avait révélé sœur Tina ralluma cependant une étincelle d'espoir, aussi mince fût-elle. Après le témoignage d'Ajar, nous eûmes donc la confirmation qu'un étrange prédateur rôdait bel et bien dans les rues de Liège. Le lien fut naturellement vite établi entre la disparition de Clio, de Gilles Langue d'Argent et celles de tous les autres enfants qui s'étaient mystérieusement évanouis sans laisser de traces.

La peur s'installa rapidement au sein des Macrâles. Toutes craignaient désormais d'être la suivante sur la funeste liste des disparues. En l'absence de Clio, et dans ce climat d'anxiété, le repaire se trouva plus dépeuplé de soir en soir, jusqu'à être totalement abandonné.

Seuls restèrent Ajar et moi-même.

Ma nouvelle compagne, faisant preuve d'une pugnacité peu commune pour son âge, souhaitait plus que tout retrouver la piste de son frère. Quant à moi, je sentais confusément qu'il était de mon devoir de retrouver Clio coûte que coûte. Sans elle, le rêve des Macrâles s'effondrerait, immanquablement. Elle était le ciment qui les liait, et rien ne serait possible sans elle et sa prodigieuse intelligence. Il était donc essentiel de localiser au plus vite ce ravisseur d'enfant avant qu'il ne puisse faire d'autres victimes.

Or, que pouvaient donc bien faire deux enfants contre un individu aussi dangereux ?

Il nous fallait de l'aide et je savais précisément où en trouver...même si cette idée me répugnait d'avance !

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Mathurin, en véritable Prince des bas-fonds, vêtu d'oripeaux de fourrure, mangés par les mites, me toisait depuis la haute chaise qu'il occupait. Il ne m'avait pas pardonné l'esclandre que j'avais déclenché et affichait un air hautain, satisfait de me voir ainsi agenouillée à ses pieds, le suppliant de faire intervenir la Très Honorable Congrégation afin de mettre rapidement hors d'état de nuire le kidnappeur.

J'avais accepté à contrecœur de me prêter à ce simulacre de serment d'allégeance, comme la situation l'exigeait.

Mathurin renifla bruyamment avant de cracher un mollard visqueux aux pieds d'Ajar. La présence de la petite fille qu'il avait naguère brutalisée semblait lui déplaire au plus haut point.

-Ainsi, Morgane la rebelle réclame notre aide pour débusquer un hypothétique ravisseur d'enfants ? Un type dangereux qui risque bien d'avoir la peau de certains d'entre nous. Un travail de titans, une faible chance de réussite et une grande probabilité d'en crever. Et que nous offres-tu en échange, Morgane ? Que dalle ? Vous entendez ça, vous autres ?

La Congrégation au grand complet, rassemblée autour du trône, se força à rire, mais sans réelle conviction. Les Gamins de Merde transpiraient la peur. Leur chef, rusé et courageux, celui qui avait survécu aux tortures de l'Inquisiteur, avait probablement été emporté par le monstre au manteau rouge. De la même façon que les Macrâles, ils craignaient pour leur vie. Ils n'osaient plus sortir seuls, encore moins à la tombée de la nuit. Mathurin en avait donné l'ordre, preuve que lui aussi redoutait cette menace invisible, en dépit de tous ses airs bravaches.

-Soit ! Nous discuterons du prix après avoir fait payer ce salopard. T'en acquitteras-tu le moment venu ?

Je n'aimais pas ça. J'avais l'impression de signer un pacte avec le Diable en personne. J'avais perdu toute confiance en Mathurin et le fait qu'il n'énonce pas son prix ne me disait rien qui vaille. Mais avais-je vraiment le choix ?

-Oui, répondis-je froidement, en dépit de mes réticences.

Un sourire torve s'épanouit sur les lèvres de Mathurin. Il tapa des mains, manifestement ravi.