Une sourde inquiétude me saisit, alors que le vent avait commencé à se renforcer, charriant avec lui une effroyable odeur de mort. Les brigands ainsi que les chevaliers de Saint-Lambert se regardèrent, inquiets. Je vis le véritable Robert le Mouillard, cheveux roux en bataille et visage ensanglanté, plisser le front. Lui aussi avait perçu le danger.
Les nuages noircissaient à vue d'œil, jusqu'à ce qu'une trombe, surgie de nulle part, descende des cieux, soufflant tout sur son passage.
La panique se généralisa rapidement, car personne n'avait jamais rien vu de tel.
-Tous aux bateaux ! Il faut partir d'ici ! entendis-je hurler le véritable Robert le Mouillard.
L'ouragan balaya la place, emportant tout sur son passage, soulevant comme de vulgaires fétus de paille les malchanceux se trouvant sur son chemin. Mathurin avait détalé sans demander son reste. Ou bien avait-il été emporté ?
« Fie-toi à moi, petit. Je sais où elle est allée. Je peux la sentir. Laisse-moi faire. Elle est en grand danger. »
La voix avait retenti dans ma tête. Celle d'un animal, une bête issue d'un autre âge. C'était la première fois que je l'entendais s'exprimer ainsi. Je n'avais pas le choix. Silencieusement, je lui fis comprendre que c'était d'accord, que je m'en remettais à elle. Alors, tout changea. Mon acuité visuelle s'accrut dans de telles proportions que j'y vis comme en plein jour. Mon ouïe percevait le moindre son, mon flair captait les odeurs les plus diverses.
Je poussai un grognement satisfait. Le Loup avait retrouvé la trace de Morgane...
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Au fond d'une ruelle malodorante au bout de laquelle un immeuble achevait de se consumer, j'aperçus enfin Morgane s'avancerà pas lents en direction de l'individu qui lui tendait les bras.
Je n'en crus pas mes yeux.
C'était Thomas.
-Viens, Morgane. Viens me prendre dans tes bras. J'ai si froid, tu sais. J'ai besoin de ta présence. Viens avec moi, et nous serons heureux. Je n'ai jamais eu l'occasion de te le dire mais...je t'aime !
J'entendis Morgane fondre en larmes en s'approchant de Thomas. Ou du moins, de ce qu'elle croyait être Thomas. Car, si la ressemblance était frappante, un détail ne trompait pas. Les yeux naguère d'un bleu profond de Thomas avaient été remplacés par un regard noir, injecté de sang. Je voulus crier pour avertir Morgane que tout ceci n'était qu'un piège, une cruelle tromperie, mais mes paroles furent emportées par le vent.
L'imposteur couina de douleur lorsque Morgane, au dernier moment, lui décocha un violent coup de pied à l'entrejambe. Il se plia en deux, jurant de manière horrible, brisant l'illusion qu'il avait créée, retrouvant sa véritable apparence.
-Vous vous êtes trompé, Adalbert. Thomas ne m'a jamais aimée. Enfin, pas de la façon dont vous l'imaginiez. Il était comme mon frère. Mais il ne me désirait pas. Vous n'êtes pas capable de comprendre ces choses-là. Vous n'avez jamais compris le sens de l'amitié. Ni celui de la fraternité. Vous avez laissé la jalousie vous empoisonner à petit feu et faire de vous le monstre d'égoïsme que vous êtes devenu. Vous vous êtes servi de votre propre malheur pour justifier vos actes les plus ignobles. Ce que vous a infligé William Mandrake n'était pas une excuse pour commettre tous ces crimes. Vous êtes un minable, Adalbert. Rien d'autre.
En dépit de son épuisement, Morgane avait assené ces mots avec un courage et une force de conviction étonnants. Adalbert se redressa, un rictus aux lèvres.
-Mille mercis, petite fée Morgane. Merci pour cette belle leçon de morale ! Je n'aurai jamais assez de mots pour t'exprimer ma gratitude de m'avoir si bien servi. Tu as raison, je n'ai jamais rien compris à l'amour fraternel. Comment peut-on aimer un frère aussi ingrat et injuste que le mien? Tu m'accuses d'être un monstre d'égoïsme, mais tu ne sais pas qui est réellement Saturnin, ni ce qu'il m'a fait. Dès le premier jour où je t'ai rencontrée, j'ai su que tu n'étais pas une enfant ordinaire. Je savais que tu pourrais être l'instrument de la déchéance de Saturnin. Les choses ne se sont pas passées exactement comme je l'avais prévu, je l'avoue, mais, en fin de compte, mon but est bel et bien atteint. Regarde ce qu'il reste de cette ville ! Un océan de cadavres et de ruines. Le Prince-Évêque qu'avait juré de protéger Saturnin est mort. Le grand, le beau, le vaillant chevalier, celui qui se rêvait en Lancelot n'est plus ! Il est réduit à l'état d'épave, il n'est plus qu'un chevalier déchu. Je n'en demandais pas plus. Encore merci pour ton aide précieuse, chère Morgane !
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Macrâle: l'enfance d'une sorcière de Belgique
ParanormalMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...