CHAPITRE 1 - Billy et le couteau a beurre

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La nuit commençait à tomber, et Kassius Thyres, lui, tombait de sommeil.

Les voitures passant de temps à autre de l'autre côté de la route agissaient comme les moutons que l'on compte pour s'endormir. Mais à présent que lui et sa mère avaient traversé la moitié de l'Ecosse, tout signe de vie se faisait rare sur la petite route de campagne.

La figure sombre et difforme des arbres, nus en ce début de saison d'hiver, pliaient tels des griffes tentant d'attraper la petite voiture rouge. Une brume s'était installée et semblait s'épaissir à mesure qu'ils approchaient. C'était comme entrer dans un autre monde, bien loin de leur maison en Angleterre.

Kassius jeta un regard à sa mère dans le rétroviseur. Le teint d'origine blanc perle de Linh Thyres semblait translucide à présent, presque maladif. Ses mains fines étaient crispées sur le volant, tellement que leurs jointures en étaient blanches, elles aussi.

Kas savait pertinemment ce à quoi elle pensait.

Ces derniers jours avaient été éprouvants, même si la mère et le fils s'étaient préparés à leur séparation prochaine. Depuis le décès de son père, ils avaient vécu tous les deux, sans autre famille sur qui compter. Et voilà que maintenant, Kas s'apprêtait à laisser sa mère seule pour étudier dans une académie sur laquelle il ne savait pratiquement rien. Une certaine appréhension lui tordait l'estomac malgré l'acceptation de la situation, et il savait que derrière le visage concentré de sa mère, elle le ressentait aussi.

Mais il douta que ce fut son unique préoccupation. Il voyait la manière dont ses yeux en amande dardaient le paysage, la manière dont elle replaçait ses cheveux noirs derrière son oreille nerveusement après chaque virage.

Prendre la voiture avait toujours généré une certaine angoisse chez elle depuis l'accident qui avait emporté le père de Kas il y a maintenant douze ans de cela, et qui plus est, sur une route se situant non loin de là.

Kas lui avait proposé de prendre le train pour se rendre à Wisperia, mais elle avait farouchement refusé, souhaitant l'accompagner jusqu'au bout.

Kas était trop jeune pour se souvenir de l'accident, et même de son père, dont seulement des images éparses lui revenaient en mémoire. Mais sa mère avait toujours mis un point d'honneur à lui parler de lui. Chaque jour, elle faisait référence à ses phrases sages, à son optimisme toute épreuve et son humour tranchant dont elle répétait que Kas avait hérité. C'était comme si Kas connaissait son père, comme s'il avait toujours été là, et c'était qui le poussait à croire, lui aussi, que l'accident n'en était peut-être pas un.

Il ne se souvenait pas non plus de comment sa mère était avant. Une chose était brisé en elle, c'était certain, mais cela ne se voyait que l'espace d'une seconde, lorsqu' elle était dans ses pensées, les yeux perdus dans le vide, comme maintenant.

Bientôt, un panneau se découpa dans le brouillard. Vert et rectangulaire, des mots y étaient inscrits en une police qui se voulait accueillante. Kas peina a lire les lettres jaunes à moitié effacées.

"Wisperia, là où les oiseaux chantent"

Ironie du sort, il n'avait aperçu aucun volatile depuis un bon moment.

Il senti sa mère se détendre quelque peu lorsqu'ils entrèrent dans la ville, retrouvant la parole par la même occasion

"– Enfin." souffla-t-elle.

La faible lumière de lampadaires perçait a travers la brume, permettant de mieux apercevoir le paysage. Kas jeta un oeil aux maisons défilant par delà la vitre. C'était peut être l'effet de la météo, mais il s'attendait à un décor un peu plus sombre et folklorique, avec de vieilles bâtisses de pierre et des habitants aux cheveux blancs regardant par la fenêtre, méfiants.

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