Un monde post-apo

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Le crépuscule tombait sur Paris, dégoulinant ses teintes rouge sang sur l'horizon. Les rues étaient vides, les bâtiments, s'ils tenaient encore debout, montraient des cicatrices qui dénaturaient leur nature première : vitres cassées, façades craquelées et couvertes de lierre et de mousse masquant les tags de la première vague de survivants, à l'époque où le reste d'humanité cherchait désespérément le moyen de s'organiser en bandes pour faire face aux zombies dont le nombre grandissant garantissait la suprématie. Le temps d'un éclair, et les civilisations s'étaient effondrées comme des dominos. Aujourd'hui, ce qui restait de cet âge d'or se terrait dans des abris souterrains, invisible à la nuit tombée, ne se déplaçant que par bandes quand le soleil était haut.

Tout ça, le Docteur Dubois le revoyait comme les images d'un film vu des années auparavant et dont on ne garde que des souvenirs fragmentés. Enfin, docteur, il ne l'était plus depuis cette époque, en réalité. Il aurait été incapable de dire ce qui lui était arrivé. Il se rappelait d'un avant et d'un après. L'après avait commencé tandis qu'il arpentait les rues de Paris encore surpeuplées. Dans un premier temps, il avait suivi les mouvements de panique, échappé au mieux aux hordes de morts affamés. Puis les rues s'étaient désertées. Il s'était retrouvé seul. Jusqu'à comprendre une vérité si simple qu'il se flagella de ne pas l'avoir dévoilée plus tôt : il était indifférent aux zombies, parce que les zombies ne le voyaient pas. Pas plus que les survivants, d'ailleurs. A un certain point qu'il ne parvenait plus à situer, il était mort, tout simplement. Il parcourait la terre sous une forme qui ne craignait plus ni fatigue, ni faim, ni rien.

Ce qui, techniquement, ne l'empêchait pas d'être encore docteur. La mort ne lui avait pas enlevé son doctorat, donc il pouvait encore prétendre à ce titre. Même s'il ne discutait plus avec personne. On peut se respecter soi-même dans toutes les circonstances. Docteur Pierre-Emmanuel Dubois, agrégé en biologie. Bon, il reconnaissait lui-même qu'il s'agissait là d'un caprice un peu étrange de sa part, de s'accrocher à ce point à ce reste de fierté d'un autre temps, mais pourquoi pas ? Personne n'allait le traiter de prétentieux pour ça, si ?

Et puis, il fallait bien se trouver quelque parcelle de plaisir là où on pouvait encore en trouver. Parce que, pour le reste... le monde était devenu un éternel recommencement. Plus de télé, ni de radio, encore moins d'Internet. Le seul spectacle qui s'offrait encore à lui était la lutte quotidienne de ces humains qui tentaient de survivre, et des zombies qui tentaient de se nourrir. Au début, quand il avait pris conscience qu'il ne craignait plus rien, il avait suivi avec intérêt ces derniers sursauts de l'humanité dans son agonie. Ça n'avait duré qu'un temps. Tout ce spectacle était bien trop répétitif pour garder longtemps de l'intérêt. Maintenant, il les voyait de l'œil indifférent du spectateur blasé. Bien sûr, ça faisait toujours une distraction. Il lui arrivait encore de faire un détour quand il percevait des coups de feu ou des bruits de lutte. Mais c'était devenu une habitude plutôt qu'une réelle occupation.

À bien y considérer, s'il avait pu encore choisir son mode de vie, il aurait apprécié s'enfermer là où il vivait, à parcourir les traités scientifiques qui constituaient sa bibliothèque. À ceci près que tous ses livres avaient servi à chauffer quelques vagabonds, que sa maison semblait rendue à la nature depuis plus de dix ans, et qu'il ne pouvait de toute façon plus tourner la moindre page, ce qui était particulièrement préjudiciable lorsqu'on souhaitait lire intelligemment.

En fin de compte, ce qui lui avait semblé dans unpremier temps une expérience d'une rare valeur : la découverte de la vieaprès la mort, l'exploration d'un royaume dont « aucun voyageur ne revient »,avait fini par s'apparenter à une longue journée sans lendemain, un jour de lamarmotte version post-apo, et sans Andie MacDowell pour y ajouter un quelconqueintérêt. Il avait cherché s'il n'avait pas laissé une mission de vieincomplète, l'un de ces trucs New Age auquel il n'avait jamais accordé lamoindre valeur, mais sa famille proche s'était fait décimer dès lespremières vagues d'assaut, tantôt par les zombies, tantôt par l'armée quiexterminait sans pouvoir s'offrir le luxe de distinguer ses cibles, alors àmoins qu'il n'ait pour mission de protéger un lointain petit cousin dont ilavait sans doute oublié l'existence, ce qui aurait été probable, il estimaitque la patience réglerait la question d'elle-même. En l'état actuel des choses,s'il avait encore un membre de sa famille en vie, ce n'était qu'une question dejours avant que les zombies, l'armée ou simplement les survivants sechargent de son cas. En tout cas, c'était la raison à laquelle il s'étaitconcilié dès les premiers ennuis de son errance. Rien n'avait changé depuis.Donc, soit il se trompait sur la raison de sa présence post-mortem sur terre,soit son lointain cousin n'avait clairement pas besoin de son aide poursurvivre. Pour le moins contrariant dans les deux cas. Car rien ne laissaitentendre que son errance toucherait à sa fin de si tôt.

La Chair et l'EspritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant