Le chemin vers la salle de l'Ethernem semblait plus lancinant que la fois précédente. Chaque fois qu'elle y était demandée, les couloirs devenaient plus longs, plus interminables. Cordélia en perdait le souffle parfois. Ses côtes la tiraillaient, la suppliant de s'arrêter et quand elle le faisait, son instinct lui hurlait de fuir. C'était comme lutter contre le côté primaire de son âme. Une bataille sanglante dont les protagonistes ne se souvenaient même plus de la raison qui les avait poussé à prendre les armes. Ainsi Cordélia se demandait d'où venait cette volonté qui la forçait à avancer.
La Seraphine détestait ce sentiment de familiarité qui la traversait. C'était toujours le même schéma. Ses veines se glaçaient, l'anticipation faisait dresser ses poils et sa peau se refroidissait. Elle se sentait comme un animal en plein hiver fuyant son prédateur de toujours, dérapant sur la neige sous le regard gracieux de la lune.
Dans cette chaîne alimentaire cruelle, Cordélia était le lapin et Olga était la louve.
Il ne restait qu'une dizaine de pas avant d'atteindre la destination finale. À mesure qu'elle s'approchait, Cordélia pouvait facilement imaginer Olga. Elle serait assise sur une chaise en bois sombre, ses longs ongles frappant l'accoudoir en un rythme régulier. De temps en temps ses bagues s'entrechoqueraient cassant ce refrain incessant. Ses lèvres seraient figées en un petit sourire narquois. Il serait assez discret pour n'être soumis à aucune accusation mais visible pour que la moquerie soit reconnue.
La main sur la poignée, Cordélia se mordit les joues, maudissant intérieurement Nesryn pour ses caprices. Une chose était sûre: Olga le savait.
Après une grande inspiration, la jeune femme ouvrit la porte avec un grincement.
La salle de l'Ethernem n'avait rien d' accueillant. Sa tension était montée d'un cran alors qu'elle faisait un pas dans l'antre de l'autorité supérieure. L'instinct de l'animal effrayé refaisait surface devant la discorde qui était enfermée dans cette pièce. Il y avait une quantité ahurissante de paroles non prononcées qui imploraient une oreille attentive. Des remords remplissaient les murs et Cordélia sentit ses épaules s'affaisser à ce sentiment. Le manque de lumière offrait une cachette aux silhouettes désolées. Les ombres qui y trouvaient refuge étaient, autrefois, des sœurs. Des Seraphines qui avaient péché. Pourtant personne ne savait comment ni pourquoi. Le savoir était peut-être mis en avant dans ce sanctuaire mais ce genre de connaissance leur était interdit.
Olga, elle, savait. La doyenne quittait rarement cette pièce. Gardienne de ces âmes, elle entendait leurs supplications mais ne s'y attardait pas. Son indifférence faisait d'elle l'un des bourreaux les plus sournois. Elle ne frappait pas. Elle n 'insultait pas. Olga était juste là. Une punition supplémentaire pour les criminelles. Olga s'assurait que leurs chaînes brûlaient leur peau souillée par leurs méfaits. Elle contemplait avec suffisance ces fantômes voyageaient entre cette prison et le Feralma, l'enfer connu de tous.
Un traître était un traître. La honte ne devait être que d'un seul côté.
Au centre de la salle se trouvait la raison de son existence. L'Ethernem était la seule source de lumière de cet endroit. Ce livre avait été rédigé par la main juvénile de Meeri. C'était une autre époque. Une, où elle voyait encore son environnement et des choses indescriptibles. Meeri y avait écrit le destin de l'humanité. Les pas d'autrefois, ceux d'aujourd'hui et du futur. Après que les dieux de la calamité eurent été jugés pour leurs atrocités, le livre fut remis aux Seraphines pour protéger le savoir qui résidait à l'intérieur.
Aucune d'entre elles n'avaient le privilège de tourner ces saintes pages. Il était le fruit défendu et elles étaient affamées. Cette famine avait également soumis Olga. Sa stature, son savoir et encore moins son arrogance ne lui permettaient pas de briser cette règle. Elle se contentait de ressentir la gravité de l'encre depuis sa chaise de bois.

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Séraphine
FantasíaDevoir, savoir et pouvoir. Une devise qu'on leur apprenait durant la pleine lune, avec l'acoustique des vagues caressant tendrement leurs oreilles juvéniles. L'océan les avait vus naître, grandir et mourir avec cette attention particulière qu'on ré...