Prologue

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Longtemps, je me suis levé le matin avec le sentiment que j'étais quelqu'un de bien. Malgré un mauvais caractère, que je reconnais volontiers, je me considérais plutôt comme une personne ouverte et agréable avec les autres. En retour, on me renvoyait souvent les échos de celui qu'on trouve charmant et amusant. La plupart du temps, j'amusais beaucoup la galerie et laissais rarement indifférent. Partout où je passais, c'étaient des éclats de rire, des sourires complices, les discussions fusaient tous azimuts. En tout bien tout honneur, je pense que je plaisais autant aux femmes qu'aux hommes, et sans me glorifier outre mesure, je peux dire que j'incarnais à merveille la définition du bon copain.

Mais les temps changent. Et tout ceci appartient désormais à une époque révolue. C'est de l'histoire ancienne.

Aujourd'hui, dans mon dos, j'entends parfois un certain nombre de quolibets. Mes voisins, dont principalement les enfants, m'appellent le Grinch, alors que mes collègues m'affublent ironiquement du surnom de Risette.

Mais moi, je préfère dire que je suis devenu un con.

Pas le genre de type qui est un âne bâté. Non ! Au niveau des facultés intellectuelles, je peux, sans me vanter, assurer que je tiens autant la route, si ce n'est mieux, qu'un pneu Michelin.

Je suis plutôt du genre : « gros », « sale », « vrai »... con.

Désormais, vous pouvez demander à n'importe qui autour de moi, tout le monde vous le confirmera haut et fort : « Marc-Olivier Novak... ce mec est un con ! ».

Il faut reconnaître que dans mes relations, j'entretiens le mythe avec un zèle relativement appliqué. Attention ! Je ne suis pas fier d'être un con, je ne cherche pas à tout prix à être un con, encore moins, à faire le con. Je suis ce que je suis, et à vrai dire, je me contrefous de ce que peuvent bien penser les autres. Je m'en balance comme de l'an 40. D'ailleurs, pour être totalement franc, les gens justement, je n'en ai plus rien à carrer. Ils me sont tous indifférents. Pour moi, ils n'existent pas.

Ou plutôt, ils n'existent plus.

Face à la vitre de ma cuisine, les yeux dans le vague pendant que je me ressers le troisième café de la matinée, je me dis que finalement, c'est peut-être l'inverse. C'est sans doute moi, qui n'existe plus. Moi ou eux, de toute manière, le résultat est le même. Il n'en reste pas moins que, des autres, je me sens foncièrement divergent.

Parfois, comme actuellement, alors que je regarde la rue par la fenêtre de chez moi, quand mon œil distrait s'attarde sur eux, je les juge comme étant de parfaits extraterrestres.

Tiens, cet homme qui marche en bas sur le trottoir. En voilà un beau spécimen ! D'ici, je serais bien incapable de dire à quoi il ressemble exactement, pourtant j'en sais assez pour me faire une opinion. Entre deux âges, je dirais l'apothéose de la quarantaine, celle de la réussite sociale et professionnelle. Tout, dans sa démarche, témoigne de ce feu d'artifice d'accomplissement personnel. Il va au travail, tiré à quatre épingles dans son costume rouge cendré. Il s'active guilleret, casque sur les oreilles, sa tête danse, il a l'air heureux. Celui-ci arpente l'asphalte comme si la rue et même l'avenir lui appartenaient.

Et je ne le comprends pas.

Cette femme dont j'ai croisé, hier, la route au supermarché, arborant un sourire conquis en choisissant simplement ses fruits et légumes. Dévorant la vie à pleines dents, par la seule action de loucher sur une pomme.

Je ne me reconnais pas en elle.

Je ne saurais trop vous expliquer, mais ils me semblent tous identiques, tous interchangeables, comme les pions d'un échiquier géant. Un échiquier dans lequel je n'aurais pas ma place.

Le puits du fouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant