Une fin salée (réécrit)

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Attention, du sang est mentionné.

Le ciel grondait. Des grognements d'avertissement qui n'atteignaient même pas leurs oreilles. Les lances de Caelestis déchiraient les nuages au rythme des tambours de guerre. Il n'y avait plus de soleil depuis longtemps et la brise, autrefois délicate, était maintenant le souffle de la tragédie. Elle s'abattait sur les silhouettes hystériques de cette plage dans une tentative de les arrêter. Le tonnerre réveillait les cieux de leur malaise tandis que le sable s'accrochait à leur peau tel une caresse morose.

Cordélia manqua de trébucher lorsqu'une vague tenta de balayer ses jambes. L'écume s'attardait sur le cuir de ses bottes, laissant une trace de sa tristesse. Une énième larme destinée à remplir le calice de leurs souhaits. De quoi les dieux pouvaient -ils bien avoir si peur ? Ils se déchainaient autour d'elles comme des figurants désespérés de changer un script immuable. Ceux d'en haut se blâmaient pour des choix passés. D'autres observaient dans un silence résigné la fatalité marquer ces âmes. 

Les anges hurlaient à la déchéance de fuir cet endroit anciennement paisible.  

Cordélia courrait, courrait et courrait. Ses jambes menaçaient de s'écrouler mais l'adrénaline qui parcourait ses veines leur offrait une énergie qui n'appartenait qu'à la survie. Elle avait tellement mal. Une douleur devenue l'héritage des poignards et du poison qui recouvrait les lames. Elle entendit vaguement Nesryn lâcher une injure lorsque son pied glissa sur le sable trempé par l'océan. Mais elles continuèrent de courir jusqu'au sanctuaire, leurs yeux aveuglés par une averse de regrets divins. 

Cordélia sursauta lorsque le ciel gronda encore une fois. Qu'était-ce ? Des prières ou des condoléances ? Le corbeau s'en moquait. Il ne voulait pas de paroles abstraites, il battait ses ailes archaïques pour les faire disparaître. La jeune Seraphine était, à elle-même, le mauvais présage qui s'élançait vers ses victimes adorées. 

Cordélia ralentit légèrement alors qu'elle s'approchait des escaliers faits d'obsidiennes menant à la porte des nouveaux condamnés. Les flammes ardentes d'un autre enfer, sous leurs pieds, imploraient pour une libération. Une, que les démons, rampant sous la croute terrestre, désiraient tout autant. Le souvenir de la débauche humaine excitant leur esprit.  L'allégorie du destin et de l'histoire était une statue en marbre sculptée par les êtres les plus admiratifs. Un éloge à leur mère qui les avait tous déçu avec une plume trop lourde. Elle se tenait là, en haut des marches. Ses yeux livides fixés sur ses enfants.

Cordélia essayait tant bien que mal de reprendre sa respiration. Elle pouvait sentir sa gorge se nouer, l'acide brulant les parois de sa chair. L'appréhension lui contractait la poitrine, ses mains fermement entourées autour de son cœur. 

Nesryn était la plus proche de la porte, à seulement trois pas du dénouement et Cordélia avait une multitude de dieux à prier, à faire rougir avec son besoin de consolations mais rien ne lui venait. 

Elle fut ramenée à la réalité par le son grinçant de la porte que Nesryn poussait, les lèvres tremblantes. Elles rentrèrent l'une après l'autre, terrifiées par ce qu'elles allaient trouver. Pourtant le désir pervert d'avoir l'évidence en face les motiva à avancer. Pendant un instant succinct, Cordélia crut avoir perdu l'ouïe, jusqu'à ce qu'elle entende Nesryn étouffer un sanglot. Elle aurait voulu lui dire quelque chose, que tout allait bien. Mais comment faire quand le mensonge était un péché encore plus tabou que la simple pensée du suicide. Cordélia était incapable de réfléchir correctement alors qu'elles s'approchaient de la salle des prières. Son esprit tremblait au même rythme que ses membres extérieurs. Leurs veines pulsaient sous les percussions abominables de leur cœur.  La terreur plantait ses griffes acérées dans leur estomac faisant tomber leurs entrailles au moindre petit bruit. 

SéraphineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant