Alice dégagea de son front les mèches humides qui encombraient son front, tombées de son strict chignon. Elle s'arrêta quelques secondes pour souffler entre deux commandes. L'auberge "Au soleil étincelant", dont l'enseigne affichait un astre de fer forgé, se trouvait proche du port. Elle était réputée pour ses repas "dignes de la table du roi" disait-on, mais plus encore pour sa discrétion. Le propriétaire anonyme en avait fait un lieu calme de rencontres en assurant la sécurité de ses clients et de leurs informations : des gardes veillaient à chaque porte et tous les employés étaient choisis avec grand soin par le gérant. On pouvait louer une chambre à l'étage pour plus de sûreté. Aujourd'hui encore, la jeune servante s'occupait d'une salle pleine avec ses camarades. Un groupe de musiciens assurait un fond sonore agréable et propice aux conversations.
"Alice ! Une bouteille de vin et trois verres pour la table sept !"
La jeune fille se secoua pour retourner travailler. Une entrée attira son attention : des chevaliers de l'Académie, joyeux et animés, qui semblaient avoir quelque heureux événement à fêter. Elle s'empressa d'aller à leur rencontre et remarqua à peine la silhouette qui pénétrait dans l'établissement à leur suite. Sa large cape de voyage poussiéreuse dissimulait ses vêtements. Un des gardes approcha discrètement et posa une main sur son bras, se penchant pour lui parler à l'oreille.
"-Excusez-moi , si vous voulez bien me suivre .
- Gary, voyons ...
- Oh, veuillez excuser mon impardonnable méprise, votre Grâce. Dois-je avertir Monsieur que ..?
- Ce ne sera pas nécessaire, merci, Gary. Et félicitations, tu fais très bien ton travail.
L'homme s'inclina légèrement alors que l'inconnu poursuivait son chemin, louvoyant entre les tables.
Alice continuait son service. Âgée de dix-sept ans, elle avait eu la chance d'être recrutée par le propriétaire de l'hôtellerie, à une période de sa vie dont elle gardait un souvenir indélébile.
Née dans les quartiers des plaisirs, elle avait dû se battre dès son plus jeune âge. Farouche, elle s'était travestie en garçon pour échapper aux violeurs, mais même cette protection était précaire, car bon nombre ne se préoccupait pas du genre de leur victime. Elle avait choisi d'assassiner plutôt que d'être violentée, malgré le dégoût qu'elle ressentait de devoir tuer.
Si le Temple menait des missions régulières dans les Bas-Quartiers, ils étaient vite dépassés parla quantité d'orphelins et de malades. Aussi avait-elle compris que nul ne pouvait l'aider et qu'elle devait se débrouiller seule. Elle ne se déplaçait jamais sans ses dagues, volées sur un marché. Elle survivait en exécutant des courses pour des commerçants diverses.
En réalité, elle entretenait des relations avec mafieux, camelots et colporteurs, vivait dans une cahute misérable et partageait son pain avec ses " frères et sœurs ".
Sa rencontre avec son protecteur avait failli lui coûter la vie. Chargée de l'assassiner, elle était parvenue à le blesser au bras, avant qu'il ne la blesse à son tour.
De longues semaines de souffrance avaient suives. Son corps affaibli par les privations, les punitions corporelles et les combats qu'elle menait dans la rue, n'avait pas supporté une grave perte de sang. Gravement malade, elle avait déliré, brûlante de fièvre, inconsciente et ne s'éveillant que pour avaler quelques gouttes d'eau.
Quand guérie, l'adolescente avait ouvert les yeux, elle était changée. Calme, parfois même atone, toute la violence et le désespoir qui l'animait avait comme disparus. Elle ne prononçait pas un seul mot et ne quittait pas la fenêtre des yeux, le regard fixé sur le ciel, observant le mouvement des nuages, semblant attendre quelque chose ou quelqu'un. Inquiet, le médecin avait mandé son gardien.
Il était entré dans la chambre, en silence, l'emplissant de sa présence charismatique. Il s'était présenté à elle sous le nom de Reed. Lui souriant avec gentillesse, il lui avait parlé comme à une égale, elle qui n'avait que quatorze ans. Il lui avait proposé de se joindre à la Guilde pour mettre à profit ses talents d'espion au service du Royaume. Il lui avait longuement expliqué son travail et quel serait le sien si elle acceptait, et ajouté que si elle préférait, il pouvait aisément lui trouver une place dans une ferme à la campagne pour l'éloigner des intrigues de la capitale.
Reconnaissante, Alice avait accepté d'intégrer leurs rangs, cette proposition étant pour elle comme une rédemption, le moyen de réparer toutes les morts qu'elle avait causées et dont elle se sentait coupable. Profondément remuée, elle avait éclaté en sanglots, laissant s'échapper de ses yeux des perles qui la soulageait seconde après seconde de toute sa détresse. Gentiment, Reed lui avait tapoté l'épaule, et dans un mouvement spontané, elle l'avait serré dans ses bras, retrouvant son enfance dans une étreinte paternelle.
Depuis elle travaillait ici, tantôt comme serveuse, tantôt comme agent. Elle ne tuait plus. Ses tâches se résumaient à du renseignement et parfois à poster des messages. Auprès des autres jeunes femmes avec lesquelles elle habitait, elle avait trouvé le soutien, le réconfort et l'affection nécessaire pour soigner son âme, plus profondément touchée que son corps.
Elle vouait une admiration sans faille pour son chef, qui, malgré son emploi du temps chargé, trouvait toujours du temps pour quelques combats amicaux. Toujours disponible, elle aurait donné sa vie pour sauver la sienne.
Dans un environnement équilibré, Alice avait trouvé la paix et même le bonheur simple de la tranquillité de l'esprit.
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L'Île aux Dragons
Fantasía"L'île aux dragons" se déroule sur Daerilia, une planète accueillante où l'Empire Elfique, le Royaume Lunaire et le Royaume d'Astror coexistent en harmonie. Cependant, cette paix fragile est menacée, et seuls quelques initiés sont au courant de la...