Chapitre 6 : L'étoile vagabonde

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Quand deux étoiles sont trop proches et qu'une des deux explose, elle condamne parfois l'autre étoile à errer pour toujours, une âme vagabonde dans l'obscurité infinie de l'univers.

Dans la salle de contrôle, les scientifiques observaient les écrans avec une attention renouvelée.

"Nous avons déjà perdu huit personnes," annonça l'un d'eux, une note de tension dans la voix.

"Il manque encore des Lycoris Rouges sans leurs badges. Il ne reste que quatre heures," ajouta un autre, visiblement inquiet.

"Comment est-ce possible ? Ils savent ce qui est en jeu," répondit une femme en blouse blanche, ses yeux rivés sur les moniteurs. "Les Lycoris Bleus semblent mieux cachés que nous ne l'avions anticipé."

Le silence pesant de la salle de contrôle était seulement interrompu par le bip constant des appareils. Chacun des scientifiques savait que le temps jouait contre eux et les participants restants.

Un scientifique, qui s'était toujours opposé à ce jeu, prit la parole d'une voix grave : "Certains Lycoris Rouges, comme Luka Belinski, le Russe , hésitent à partir chasser les Lycoris Bleus. C'est plus un jeu d'humanité qu'autre chose."

Il marqua une pause, observant les visages tendus autour de lui, avant de reprendre : "Prenez Yassel, par exemple. C'est fini pour elle. Vous l'avez tuée mentalement et humainement. C'est trop tard maintenant. La mort n'est pas la pire des choses dans la vie. Le pire, c'est ce qui meurt en nous quand on vit. Maintenant, elle est destinée à rester une étoile vagabonde, à errer sans but jusqu'à la fin de sa vie."

Les scientifiques savaient qu'une fois que les participants avaient accepté leur mort, ils devenaient encore plus imprévisibles et dangereux. Cette fatalité, cette résignation, rendait le jeu encore plus cruel et déshumanisant.

Yassel, se sentant comme une étoile condamnée à errer, réfléchissait à sa prochaine action. Elle savait que le temps pressait et que chaque minute qui passait la rapprochait un peu plus de sa fin possible.

Après avoir décidé de retourner à son point de départ, la plage où tout avait commencé, elle avança comme une personne portant une cicatrice invisible mais profonde. "C'est injuste," murmura-t-elle pour elle-même, "celui qui blesse oublie vite, mais la personne qui porte la cicatrice n'oublie jamais."

Sur le chemin du retour à la plage, elle croisa le fameux Russe, Luka Belinski. Ils se regardèrent, reconnaissant chacun la même fatigue et la même résignation dans les yeux de l'autre. Luka, au bout du rouleau, avait déjà accepté la mort. Il regarda Yassel avec un sourire amical.

Yassel lui rendit son sourire et, dans un geste d'une humanité inattendue, lui montra l'un des deux badges qu'elle avait obtenus auparavant . Elle le déposa au sol devant lui, puis tourna les talons et partit. En lui donnant un des deux badges, elle avait accepté de mourir en s'enlevant une chance de survie supérieure. Elle était déboussolée, les heures passèrent et elle murmura : "C'était débile d'y croire, de croire à la liberté. Être libre ne signifie pas faire ce qu'on veut mais être ce qu'on veut. Je n'ai même pas le choix de ce que je suis."

L'expression de Luka changea. Il vit Yassel comme un ange envoyé par Dieu pour le sauver. Il attendit qu'elle s'éloigne avant de ramasser le badge, un geste de respect pour son intimité et une reconnaissance silencieuse de la vie qu'il lui restait.

Mais pour l'instant, tout ce qu'elle pouvait faire était de se relever, de prendre une profonde inspiration, et de continuer. Pour elle-même, pour ceux qui avaient déjà perdu cette bataille, et pour l'humanité qu'elle essayait désespérément de préserver.

À partir de là, son humanité commença à s'effriter petit à petit. Elle récupéra ce qu'elle trouva, des vivres et quelques armes. Une fois arrivée à son point de départ, Yassel s'assit au bord de la mer, regardant l'océan aller et venir. Yassel pleurait, mais pas comme les autres. Elle pleurait de l'intérieur. Cette souffrance allait-elle s'arrêter ? Elle regretta d'avoir signé ce contrat, se disant qu'elle était en train de vendre son humanité, qui partait petit à petit pour une liberté factice qui n'existerait jamais.

Il restait plus que deux heures. "Avec le temps, on comprend," dit-elle. Plus qu'une heure. Yassel se dit qu'en 24 heures, elle avait tellement changé qu'elle ne se reconnaissait même plus. La dernière heure se passa dans le silence. Elle se souvint de sa copine prisonnière qui lui disait : "Chaque parole a une conséquence, chaque silence aussi." Elle vit cette dernière heure comme un enterrement, pas seulement des morts, mais aussi de l'humanité de tous les participants qui étaient partis avec.

Yassel, assise sur le sable chaud, regardait l'horizon où le ciel bleu se confondait avec les eaux scintillantes de la mer. Elle se disait à quel point la mer était belle et reposante, ses vagues douces caressant le rivage dans une mélodie apaisante. Le bruit régulier des vagues, le parfum salin de l'océan, et la brise légère qui jouait dans ses cheveux créaient un havre de paix où elle pouvait laisser ses pensées vagabonder librement. En contemplant cette vaste étendue d'eau, Yassel ressentait un profond sentiment de paix , qu' elle ne pourrait jamais obtenir en elle .

La dernière heure passa lentement, presque comme un supplice. Les minutes s'étiraient interminablement : 40 minutes, 35 minutes, 32 minutes, jusqu'à ce qu'elle s'écoule entièrement. Chaque seconde semblait suspendue dans l'air lourd et immobile. Enfin, un énorme bruit retentit, résonnant dans le silence oppressant, signalant la fin de l'épreuve.

Quelques minutes plus tard, alors qu'un calme étrange régnait autour d'elle, un drone s'approcha doucement, ses hélices vrombissant faiblement. Il portait une enveloppe blanche, brillante sous le soleil. Yassel la prit à contrecœur, sentant son cœur se serrer dans sa poitrine. Elle savait parfaitement ce qu'on lui demandait. Elle ouvrit l'enveloppe avec des gestes lents et résignés, découvrant une simple feuille de papier avec des instructions claires : elle devait montrer son badge au drone et le mettre dans l'enveloppe.

Avec un air de personne morte, les yeux vides et le visage figé, elle s'exécuta. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu'elle montra son badge au capteur du drone, puis le plaça délicatement dans l'enveloppe. Le drone, satisfait de sa mission, s'en alla, laissant Yassel seule avec ses pensées et son angoisse croissante.

Cherchant une échappatoire à la lourdeur de ses émotions, Yassel décida de se tourner vers la mer. Elle se leva lentement, ses jambes encore engourdies par l'attente interminable, et s'avança vers le rivage. La vue de l'océan, vaste et infini, lui offrit un semblant de réconfort. Les vagues, avec leur mouvement perpétuel et rassurant, semblaient murmurer des promesses de paix et de renouveau.

Elle contempla la mer, ses yeux suivant le mouvement gracieux des vagues qui se brisaient doucement sur le sable. L'eau, d'un bleu profond parsemé de reflets dorés sous le soleil couchant, semblait vivante, respirante. La brise marine caressait son visage, apportant avec elle le parfum salin de l'océan et le cri lointain des mouettes.

Dans cet instant suspendu, Yassel se permit de ressentir un brin de tranquillité. La mer, belle et reposante, l'invitait à oublier ses soucis, ne serait-ce que pour un moment. Elle inspira profondément, laissant l'air pur emplir ses poumons et apaiser son esprit tourmenté. Tandis que le soleil déclinait à l'horizon, peignant le ciel de nuances oranges et roses, Yassel sentit une lueur d'espoir renaître en elle, une promesse d'un nouveau départ, aussi inéluctable et constant que le flux et le reflux des marées.

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