VII

13 0 0
                                    

À mon humble Monsieur Soleil,

Un homme qui reconnaît ses torts, s'en excuse et demande aussitôt pardon au Seigneur tout en entreprenant d'expier sa faute auprès du principal concerné, cet homme-là est tout pardonné et se montre bien noble de cœur. C'est, au contraire, celui qui refuse de voir son implication dans le péché et qui utilise ces justifications dont vous parliez en de telles paroles, qu'il faut craindre et qui aura du mal à se trouver des excuses quand viendra la fin de toute chose. 

Je me réjouis que votre nouveau nom vous plaise. J'apprécie mieux de poser un nom sur votre plume bien mystérieuse plutôt que de m'exprimer à un fantôme. Peut-être un jour comprendrez-vous pourquoi je me qualifie de froide et de glaciale, pourquoi la lune et la nuit me conviennent si bien, et pourquoi, avec vous, je parviens à me détacher de cette image et comment vous réussissez à tirer les plus beaux rayons de ma part, comment d'une étoile distante et silencieuse je me mets à briller tout haut et tout fort. Monsieur, la raison est simple : avec vous, je n'ai nul besoin de mentir ou de me cacher. Je peux dire ce que j'ai envie, tenir les propos qui me plaisent, entretenir les convictions en lesquelles je crois, et me confier si la nécessité se fait ressentir. Avec vous, je ne dois pas rester terne et maussade, je peux vendre mes secrets les plus enfouis en échange des vôtres, sans redouter d'être trahie ou jugée, puisque nous ne nous connaîtrons jamais et que cela doit rester ainsi. 

C'est avec le cœur lourd que je lis votre dernière lettre. Oh, Monsieur ! Si je vous fais réfléchir ardemment, vous, vous me brisez le moral en partageant vos pensées si pesantes et remplies de nuages. Mais, continuez, je vous en prie ! Ne vous arrêtez pas de vous alléger de votre fardeau. Je l'absorberai de mon mieux et vous accompagnerez si je le peux vers la clarté. 

Vous souhaitez que je fasse de même ? Que j'avoue les événements qui m'ont marqué ? Que j'admette ce qui noircit mon regard et fait brûler mes prunelles de mille tonnerres ? Que je vous explique la raison de mon air mélancolique parfois ? Que je vous raconte ma solitude ? Non, Monsieur, je ne le puis guère. Non pas car je ne vous fais pas confiance ou que je ne vous pense pas capable d'y compatir ou, au moins, de les lire et d'y répondre avec honnêteté. Non, Monsieur Soleil, il s'agit justement de cette lumière que vous possédez et dont j'ai été privée très tôt. Je la retrouve à peine, moi. Mais, la lueur est faible, fragile, glaciale et distante, oui, vous l'aurez deviné, comme une étoile loin, très loin dans le ciel. Je vois enfin la fin de ma misère, parce que je commence tout juste à entrapercevoir une solution, mon moment cathartique où je pourrais terminer ce qui n'a jamais pu être achevé jusqu'à présent. 

En vérité, de quoi puis-je me plaindre ? Oh, ne suis-je pas ridicule ! L'on se moquerait de moi pour rouspéter de mon sort, pour en pleurer quelquefois, alors que la chance m'a souri encore et encore, et que je suis la seule à m'entêter dans cet abîme sans fond. Je réfléchis beaucoup, moi aussi ; cependant, cela ne m'apporte que des méditations néfastes et pleines de venin. Je suis femme à me morfondre les jours où rien ne va, et à maudire les circonstances les jours où tout va. Rares sont les jours où mon esprit repose en paix dans cette tête remplie de pensées en ébullition. 

La cause ? Mais, la vie, Monsieur ! Je suis pareille à vous. Votre vision de l'Homme fait écho à la mienne. Toutefois, cette prise de conscience, déclenchée chez vous quelques années après le drame de votre chère maison exotique, moi, je l'ai vécue vraiment tôt, trop tôt, trop jeune, trop innocente, trop frêle. Je ne détenais pas alors les épaules adéquates pour la supporter, et la compréhension de ce monde réel, qui a détruit mon monde fictif formé par mes rêves et les histoires d'enfants, a bien failli me blesser à mort. 

Si je ne puis vous conter toutes mes mésaventures personnelles, ni même vous confesser mes plus noires pensées, je puis au moins évoquer les quelques instants qui me viennent à l'esprit, lorsque j'ai vu de près la débauche de l'âme humaine, dans tous ses vices et ses lacunes, dans son entière hypocrisie et ses tromperies profondes.

Les lettres cachées [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant