VIII

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Oh, ma tendre et chère Mademoiselle Lune,

C'est le cœur meurtri et désolé pour vous que je lis vos mots ! Les enfants sont cruels parfois, oui. Ils sont trop choyés, trop gâtés, ou bien ils ne le sont pas et le font payer à quiconque se met en travers de leur route. Ils disent tout haut ce qu'ils pensent et n'ont de pitié que pour eux-mêmes. Pas tous, bien entendu, mais le caractère d'un enfant n'est plus à décrire. L'on excuse d'ailleurs si souvent leur attitude insolente et capricieuse par leur jeune âge, par leur besoin de grandir, d'apprendre et de s'épanouir. Quand ils sont bruyants et que les parents les laissent s'agiter et crier toujours plus fort, quand ils sont mesquins et que les parents invoquent leur innocence pour justifier leurs paroles froides et manipulatrices, car c'est bien connu qu'un enfant obtient ce qu'il désire pourvu que ses parents cèdent à ses pleurs et à ses supplications. 

Moi, Mademoiselle, j'ai été élevé d'une main de fer et pourtant, je ne me félicite pas de certains comportements. Je vous l'ai déjà dit ; comment je me cachais dans les jardins pour esquiver mes devoirs de jeunes garçons, comment j'ignorais père et mère si je n'avais point envie de converser avec eux, comment je rendais fou mon précepteur par esprit de contrariété parce que je ne voulais jamais m'instruire. J'en oublierais presque ma pauvre maîtresse de danse qui s'est heurtée à de nombreuses reprises à mon sale caractère. Et puis, entre mes dix et douze ans, j'ai ouvert les yeux, peut-être que cet incendie ou la maladie de ma mère m'y ont aidé, et j'ai commencé à m'adoucir, à obéir, à me plier aux règles, que ce soit pour mon propre intérêt ou celui des autres. Seulement, rien, et je le répète, rien ! ne m'aurait poussé à une telle conduite. Je n'aurais pas songé à me moquer d'une enfant, qu'elle soit belle ou laide, et en vérité, je n'aurais pas émis de jugement vain et futile sur sa beauté, qu'il soit un ange masqué ou qu'il affiche vraisemblablement le visage d'un gnome. Mais, nous l'avons déterminé à présent que nous deux, nous voyons la beauté un peu partout, et qu'elle n'est pas uniquement charnelle et physique à nos yeux – or, ce n'est pas le cas de tout le monde. 

Je regrette que vous ne soyez pas tombée nez à nez avec notre petit groupe ; il y avait moi, bien sûr, et un fils de journaliste, deux enfants de sénateurs, et même une fille, un brin garçonne à ses heures perdues. Elle était d'un sang noble, mais s'amusait à retrousser ses jupons pour courir avec nous ou elle enfilait directement des bas d'hommes. Je me souviens d'elle comme si nous n'avions point été forcés de couper tout lien avec sa famille. Son père s'était montré furieux en la découvrant en si mauvais état, couverte de boue, de sueur et de larmes séchées sur ses joues graciles après avoir tant ri. Craignant le scandale, il l'a enfermée dans sa cage dorée. Voulez-vous lire un secret, Mademoiselle Lune ? Cette demoiselle n'a pas cessé de nous fréquenter, et cela malgré toutes les menaces de son paternel et toutes les prières offensées de la matriarche, et elle a même fini par entraîner une de ses amies dans nos excursions. 

Et nous ne nous rendions pas compte de notre inconvenance, de toutes les règles sociétales que nous bafouions chaque jour. Nous aimions bien ces filles, elles nous aimaient bien en retour, et elles estimaient plus divertissants de s'enfuir par leurs fenêtres avec nous autres, garçons intrépides, plutôt que de rester cloîtrées avec leurs parents et leurs précepteurs. Une autre confidence ? Nous sommes toujours amis, tous les six. Nos familles l'ignorent et cela ne doit pas changer. Au moins, nous avons arrêté de gambader dans les rues en quête d'aventures. Nous avons passé l'âge et c'en est malheureux ! Mes souvenirs me ramènent constamment à ces souvenirs d'enfance. 

Les rires sous le soleil perçant au travers des denses frondaisons quand nous avions la chance et l'occasion surtout de nous enfuir jusqu'en-dehors de la ville. Nous partions à l'aube, juste avant que les domestiques de nos maisons ne se réveillent, enjambions les murs et les grilles qui nous retenaient prisonniers, et nous entreprenions une course effrénée pour ne revenir que tard la nuit. Nous ne connaissions pas les voyous et les voleurs, aucun malfrat ne nous a jamais attrapé, bien que, je l'admets désormais, nos actions furent irréfléchies, dangereuses et rendaient malades d'inquiétude nos familles respectives. 

Les lettres cachées [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant