Ravagés [TERMINÉE]

29. Petit faon

Circus Psycho – Diggy Graves

Le papier toilette. Cet objet illustre parfaitement l'expression : « on apprécie ce que l'on a qu'une fois qu'on le perd ».

C'est de ma faute, vraiment. J'aurais dû voir que le rouleau était vide en m'asseyant sur le trône. Je dois maintenant compter sur la bonne volonté de Steven pour m'en apporter un nouveau.

Autrement dit, je peux aller me faire foutre.

Les mecs ont plutôt bien rigolé des farces que j'ai dissimulées dans l'appart, mais Steven ? Il cultive sa rancune comme un jardinier maléfique cultiverait des orties. Pendant que je vadrouillais en ville avec Chloé et Caleb, le pauvre a renversé les verres en rentrant dans la salle de bain de l'étage. C'est donc lui qui a dû tout nettoyer. Depuis, il me mène la vie dure.

Pour commencer, il m'a réveillée à l'aube au doux son d'une corne de brume. Ensuite, il a piégé mon thé avec une généreuse pincée de sel. Enfin, il a frotté du poil à gratter sur tous mes nouveaux vêtements, c'est pourquoi je suis toujours fringuée de mon pyjama et du sweat de Caleb.

Le message est limpide : « ne me fais plus jamais chier, Campbell ».

Honnêtement, à ce stade, je m'attendais à ce que les chiottes explosent au contact de mes fesses. Au lieu de ça, je suis en un seul morceau et démunie de papier pour m'essuyer.

— Steven ?

Pas de réponse. J'appellerais bien les autres, mais ils sont partis en milieu de la matinée pour gérer leurs affaires à l'entrepôt. Le pyromane, lui, a insisté pour me tenir compagnie.

— Steveeeee-

— Quoi ? me coupe-t-il de l'autre côté de la porte.

— Il n'y a plus de papier toilette, l'informé-je d'une voix mielleuse.

Je n'entends plus rien pendant une longue minute, puis la porte s'ouvre. Steven passe son bras par la fente et me tend une feuille de papier.

Juste une.

— Merci, grommelé-je en la saisissant.

— Tout le plaisir est pour moi.

Enfoiré. Heureusement, ce n'est que la petite commission. Je me débrouille avec ce que j'ai, puis je retourne vaquer à mes occupations aux côtés de monsieur Grincheux dans le salon. Il s'affaire à démonter son drone, dont les pièces sont soigneusement étalées sur la table basse. Non loin, Chloé regarde Inspecteur Gadget en russe, la joue déformée par une sucette.

Je m'assois à la table de la cuisine pour reprendre mes peintures. Au lieu d'expérimenter avec les toiles, j'ai décidé de pimper le loft en y ajoutant ma touche personnelle. C'est une façon pour moi de lutter contre mes démons, de m'accrocher à ce que j'ai.

Aujourd'hui, j'ai commencé avec tous les pots de confiture qui nous servent de cendrier. Sur certains, j'ai représenté des fleurs de toutes les couleurs. Sur d'autres, un paysage nocturne. Et sur celui que j'ai entre les mains, j'ai choisi de réaliser des motifs d'Halloween.

— T'es encore en rogne contre moi ? interrogé-je Steven distraitement.

— Pas vraiment, avoue-t-il sans détourner son attention de son engin. J'aime juste une bonne guerre de pranks.

Il ne peut pas me voir, mais je l'affuble d'une œillade meurtrière. Son arsenal de dynamites est tout ce qui m'empêche de renverser ma peinture marron sur son crâne.

— T'as pas encore compris ? raille Chloé en retirant bruyamment sa sucette de sa bouche. Tu fréquentes les quatre chevaliers de la fils-de-puterie.