Midnight Coven

Prologue

Le pont entre les mondes.

La distance intangible qui sépare le monde des mortels de celui des dieux, d'un voile invisible et pourtant si puissant.

C'est la destinée d'Hécate, magicienne de la Lune et de la nuit, dont le rôle est de protéger l'Équilibre.

Sous la caresse de son regard de braise, l'Orbe au centre de l'autel scintille de sa lumière divine et infernale. C'est en son cœur que pulse la magie des dieux.

Une éternité auparavant, bien avant la naissance de la maîtresse des nuits sans lune, les dieux ont scellé une infime parcelle de leurs pouvoirs dans la sphère. L'orbe aujourd'hui permet de maintenir l'ordre dans les mondes, les séparant l'un de l'autre, les protégeant l'un de l'autre.

Hécate doit le protéger, au péril de sa vie.

Mais les ombres s'agitent et son esprit s'emplit d'inquiétudes. Son instinct le lui dicte, une menace approche, l'orbe est en danger.

Elle détourne ses yeux noirs, inspecte la pièce aux allures de forteresse.

Qui oserait s'approcher de ce lieu interdit, enfoui dans les profondeurs du coven ?

Elle redoute de s'éloigner, ne serait-ce qu'un instant, de l'autel dont elle doit assurer la sécurité.

Pourtant, ses pas la portent, son âme se torture et son cœur cogne violemment dans sa poitrine.

Un moment suffit ; un moment d'absence, d'abandon, un moment de doute durant lequel la distance se creuse entre elle et sa destinée. Elle quitte la pièce, cherche l'origine de son désarroi.

Alors que la magicienne se fond dans l'obscurité du couloir, la main vengeresse est déjà tendue. Les longs doigts diaphanes de la traîtrise effleurent la sphère qui réagit, et sa noirceur se déchire au profit d'un rouge écarlate aveuglant. Mais la main tient bon, enserre sans effort et supporte sans douleur la brûlure divine.

C'est alors que le cœur d'Hécate se serre violemment, un bourdonnement assaille ses tempes et dans un réflexe humain dont elle a peu l'habitude, elle se prend la tête entre ses mains, empêchant un cri de rage et de douleur de franchir la frontière de ses lèvres.

L'Orbe relié aux dieux, eux-mêmes reliés à elle, se dérobe à ses pouvoirs, se dérobe à la Lune.

À son retour, l'autel brûle d'une flamme hargneuse et l'Équilibre se fissure. Son regard enténébré se fige d'horreur, un éclair zèbre le ciel, bientôt suivi du grondement de la terre. Le ciel s'illumine de la foudre de Zeus ; la nuit noire semble avoir fait place au jour.

L'objet sacré, censé maintenir le Voile séparant les mondes, ne remplit plus son devoir. L'essence des dieux, ainsi dérobée à leurs regards, ne permet plus la protection du monde des mortels, ni d'empêcher les assauts dangereux des créatures surnaturelles. Le point de bascule est enclenché, une course contre la montre entamée.

Hécate songe à Chronos, roi des Titans, mais même son pouvoir et son influence sur le cours du temps ne pourraient endiguer la catastrophe annoncée. La magie contenue dans l'Orbe est une combinaison de toutes les magies divines, une essence bien trop particulière que même un être aussi puissant que lui ne pourrait contrôler.

Lorsque le Voile se déchire, le monde semble en suspens l'espace d'un instant, comme si les humains retenaient leur souffle tous en même temps. Les chants des oiseaux se meurent, le bruit sourd des océans est étouffé, même les ouragans, les tempêtes paraissent se figer pour une minute de silence.

Les cris des hommes, pourtant, sont comme des roulements dans les thorax : prêts à exploser dans le chahut du monde. Après eux se succéderont la peur, la colère, l'affolement et enfin la haine. Les hommes haïront de nouveau les dieux. Ne seront-ce pas leurs créatures maléfiques qui annihileront l'espérance et la confiance que les humains leur portent ?

Hécate a l'impression d'étouffer, paralysée par la peur et l'effroi. Qui a osé la trahir de la sorte ? Elle se le promet, son courroux dépassera de loin toutes les horreurs que le monde s'apprête à connaître. Comparés à ce qu'elle compte faire subir au traître, les châtiments d'Hadès, le dieu des Enfers, feront pâle figure.

Soudain, les premiers monstres tentent de franchir le voile. Leurs grondements résonnent plus fort encore que le tonnerre. Des borborygmes immondes qui se mêlent aux cris des hommes, eux-mêmes couverts par des feulements stridents, par des mugissements caverneux.

Le froid envahit son âme, la glace gèle son regard. Hécate quitte l'autel sacré et les profondeurs du coven pour s'offrir aux rayons du soleil. Elle devine la Lune, bien dissimulée, mais si présente, puise en elle le courage dont elle a besoin. La vitalité s'empare de sa détermination et dans l'hécatombe qu'est son cœur, une force nouvelle émerge, orageuse et splendide..