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Je ne saurais dire si chaque matin est un enfer ou si c'était le précédent qui l'était. Parfois, je me demande si j'ai commis une erreur, ou si c'est simplement mon destin que je suis venu affronter. Mais à présent, j'ai peur. Peur du monstre immense qui se dresse face à moi. Il me terrorise. Il me rappelle, à chaque instant, qu'il est mon bourreau, qu'il ne me laisse aucun répit. Cet amour que j'ai tant désiré, tant poursuivi... J'ai l'impression de ne pas le mériter. Ou peut-être que je mérite mieux.

Pas parce qu'Ismaël est un homme amer, prétentieux ou égocentrique. Pas parce qu'il est inattentionné. Non. Ismaël a été un soutien incommensurable. Il a toujours été là, il a essayé de m'aider, de toutes ses forces. Mais que peut-on réellement faire face à la misère de quelqu'un d'autre quand on lutte déjà pour s'en sortir soi-même ?

Il se débrouille comme il peut, entre ses études et ses petits boulots. Je le vois, je le sais : il a un avenir prometteur. Et moi ? Moi, je le suis, sans même savoir où cela me mènera. Peut-être pas loin. Peut-être pas plus loin que cette allée sordide, que l'odeur fétide des égouts, que la détresse des drogués, l'amertume des solitaires, le désespoir des filles de joie. Peut-être que je ne vaux pas mieux. Mais je les juge quand même, non par méchanceté ni par arrogance, mais par peur. La peur de finir comme eux.

Parce qu'au fond, qu'est-ce que je sais du monde ? Qu'est-ce que je sais de mon avenir ? Je n'avais aucune idée que s'assumer seule serait aussi difficile. Peut-être étais-je trop jeune. Peut-être n'aurais-je jamais dû suivre ce garçon dont je suis tombée amoureuse au premier regard, loin de ma famille, loin de tout ce que j'ai toujours connu.

Mais il était venu. Et je ne voulais pas qu'il parte.

Cet amour comblait un vide en moi, me faisait croire que je n'étais plus incomplète, que je n'étais plus seule. Mais aujourd'hui, ce vide grandit. Il s'étend, il me dévore. Il me fait peur. Il me terrorise. À chaque instant. À chaque minute. À chaque seconde. J'en tremble. J'en pleure. J'en ai des insomnies. La nausée. Des migraines. Le vertige. J'ai mal. J'ai mal tout le temps.

Une fois de plus, je pousse la porte de ce fast-food que je rêve de ne plus franchir. Une fois de plus, j'attache ce tablier taché, dont les salissures ne partent même plus au lavage. Combien de gens, avant moi, ont noué ce même tablier, avec des rêves similaires aux miens ? Certains l'ont retiré parce qu'ils avaient trouvé mieux. D'autres l'ont laissé tomber, épuisés, sans rien de plus réconfortant pour les attendre. J'espère qu'un jour, lorsque je l'abandonnerai à mon tour, ce sera avec la joie au fond du cœur.

Mes oreilles bourdonnent. J'étais tétanisée devant la scène qui s'offrait à moi. Les cris déchirants de cette fille résonnaient dans tout le restaurant. Elle venait de voir son copain s'effondrer, une crise cardiaque en plein service. Ses sanglots étaient déchirants, son visage crispé par le désespoir. Elle voulait encore une minute, une seconde de plus avec lui. Elle regrettait déjà les mots durs, les disputes. Mais il était là, allongé au sol, inconscient. Les pompiers tentaient désespérément de le réanimer. Les bips incessants du défibrillateur résonnaient dans ma tête. Bip. Bip. Bip. Plus rien d'autre n'existait.

Je tremblais. Les larmes me brûlaient les yeux.

Je pensais à Ismaël. Encore et encore.

Je n'avais pas profité de lui, de nous. J'avais été distante, enfermée dans mes pensées, obsédée par mon avenir, par cette peur de sombrer. Et lui... Il ne savait rien de tout ça. Parce que je ne lui avais rien dit.

Le cœur lourd, je pris mon sac et sortis en courant.

Je devais le voir. Je devais lui dire que je l'aimais. Lui dire que j'étais désolée de l'avoir négligé. Je ne voulais pas ressentir ce que cette fille ressentait en ce moment même. Je ne voulais pas avoir de regrets. Parce que je l'aimais plus que ma propre vie.

Son immeuble était bien plus correct que le mien. Il ne sentait pas la pisse, la misère, la pauvreté. Il n'exhalait pas non plus le luxe, mais il avait cette stabilité que j'enviais tant.

Je gravis les escaliers en courant, fouillant mon sac à la recherche de mes clés. Mes mains tremblaient si fort que je n'arrivais pas à les insérer dans la serrure. Je pris une inspiration profonde, tentant d'apaiser le nœud dans ma gorge et dans mon ventre.

J'entrai enfin.

Le salon était vide.

Mais il était là. Je le savais. Je connaissais ses horaires par cœur.

Et puis, j'entendis les bruits.

Des gémissements féminins.

Mon cœur s'arrêta.

À chaque pas que je faisais dans le couloir, les bruits s'intensifiaient. Je priais pour que ce soit mon imagination. Un cauchemar éveillé. Mais non.

C'était réel.

J'ouvris la porte.

Et je le vis.

Ismaël.

Dans ce lit.

Notre lit.

Avec elle.

Son corps bougeait contre le sien. Ses doigts glissaient dans ses cheveux. Ses lèvres cherchaient les siennes.

Un bruit sourd résonna dans la chambre.

Mon sac venait de tomber au sol.

Ismaël se redressa en sursaut, tirant le drap sur lui.

Elle me regarda, perdue.

Je pris mon sac et fis demi-tour, alors qu'il m'appelait déjà.

Je dévalai les escaliers, le cœur battant à tout rompre. J'avais l'impression qu'il allait exploser. Boum. Boum. Boum. Ce bruit tambourinait dans mes tempes, plus fort que tout le reste.

Et soudain, une main m'agrippa.

Ismaël.

Ismaëil: Attends, s'il te plaît. Laisse-moi t'expliquer.

Je le fixai sans répondre.

Ismaël: Je... Je sais pas quoi dire. Je suis désolé.

Un rire nerveux s'échappa de mes lèvres. Un rire incontrôlable.

Laïa:Tu ne sais pas quoi dire ? Il n'y a rien à dire. Ce que j'ai vu était très clair.

Ismaël: Ce n'est pas ce que tu crois. Cette fille... c'est personne.

Laïa: Pourtant, je viens de te voir coucher avec "personne".

Ismaëil: Je suis désolé. Mais c'est toi que j'aime.

Laïa: Ah oui ? C'est moi que tu aimes ? Mais c'est avec elle que tu couches.

Ismaëil: Ça n'a rien à voir, c'est juste du sexe.

Mon sang ne fit qu'un tour.

Laïa: Juste du sexe ?!

La rage me brûlait les veines.

Laïa: Ismaël... Tu es pathétique.

Je tournai les talons et partis en courant, laissant ses appels derrière moi.

Je ne voulais plus jamais entendre sa voix.

Je voulais juste disparaître.

Le carbone:  𝑩𝒍𝒐𝒐𝒅 𝒗𝒆𝒏𝒐𝒎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant