Chapitre 1 - Une souris qui dormait

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On m'appelle Boris Lupo. Lupo veut dire loup en italien. Ce n'est pas usurpé, car j'ai le poil gris et soyeux, une longue queue et un long museau noir agrémenté de belles moustaches. Mon costume pourpre, moulant avantageusement ma musculature, me sied comme un gant : cintré à la taille, il épouse parfaitement mes puissantes épaules, tandis que le jabot blanc rehausse la beauté de ma gueule. Je ne porte pas de chapeau, cela étoufferait les sons que captent mes deux oreilles toujours dressées, guettant le moindre pas, repérant le moindre mouvement, fût-ce celui d'une souris. Et croyez-moi, des souris, j'en chasse. Je tue les rats et je séduis les souris. Point. Mon physique avantageux et ma voix suave font tourner les têtes des jeunes et moins jeunes. Sans oublier ma classe également, et mon style naturel, qui font merveille. Sans compter mon esprit, fin et subtil. Après tout je suis Lupo, et mon nom n'est pas usurpé. Je suis le plus beau représentant de ma race. Mes ancêtres batifolaient dans les steppes de Sibérie, ça vous donne une idée.

Oh, vous devez vous dire que je suis d'une prétention sans égal et c'est vrai. Je n'y peux rien si je suis le meilleur, c'est de naissance. Prenez la petite souris blanche couchée contre moi. Elle a le poil reconnaissant, l'œil éteint par les sommets de plaisir que je lui ai fait atteindre. Sabine, qu'elle s'appelle... si je me souviens bien. À deux doigts de la syncope, elle est passée, la petite.

Je la considère un instant, est-elle belle cette petite. Puis, sans faire de bruit – encore une de mes remarquables qualités – je me lève et mes pattes s'enfoncent dans l'épais tapis blanc. Je ne sais pas où elle a trouvé ce truc moelleux, Sabine, mais je l'emporterais bien avec moi tout à l'heure, lorsque je me carapaterai en douce. Ah oui, c'est évident. Je ne vais pas rester. Je ne peux pas, mes autres conquêtes m'en voudraient terriblement.

La nuit est fort avancée, mais aucun signe avant-coureur de l'aube à l'horizon. Je vois par la fenêtre un superbe Zeppelin Mk5 qui se traîne paresseusement dans le ciel. Sans doute un riche nabab qui rentre chez lui. Les lumières clignotantes de ces engins les font ressembler à de grosses lucioles évoluant dans la stratosphère. Je rêve de pouvoir monter dans une de ces merveilles, mais ça sera pour le jour où leurs tarifs seront abordables pour un privé comme moi. Je dois malheureusement me contenter des bus vapeur, qui cahotent dans les rues de Novo Lugdunum depuis des lustres.

Je regarde ma montre, une Stund Mk1, et j'actionne le petit levier. Le clapet d'étanchéité se soulève et les chiffres luminescents flashent dans le noir. Je cligne des yeux et j'arrive enfin à lire l'heure : 5 heures 05. L'heure de se coucher. Ou pour ceux comme moi qui ont eu une nuit agitée, il est l'heure d'un café. Curieusement, j'ai envie de tabac. Je me dirige vers mon pardessus délicatement posé sur une chaise. Je retire d'une poche un paquet vide. Damnation ! On a dû fumer les dernières avant de venir ici. À peine avait-on franchi le seuil qu'elle m'enlaçait, la chérie. Collée contre moi tel un sparadrap. Pas eu le temps de boire ni de parler davantage. Il faut dire que je l'avais chauffée toute la soirée : un whisky au bar, puis un resto, puis un autre bar, dans lequel on a vidé une bouteille.

Bon, si je veux fumer, va falloir que j'aille acheter un paquet. Je crois avoir remarqué un distributeur automatique au coin de la rue. Je m'habille en vitesse, mais j'omets quelques pièces de vêtements. J'enfile donc ma culotte, mon pantalon, ma chemise et ma veste. Je laisse sur la chaise le gilet gris et ma cravate bleue. J'ai l'air négligé ainsi, mais je fais un simple aller-retour rapide et vu l'heure je ne devrais croiser personne. Je jette un œil à Sabine. Elle n'a pas bougé d'un poil. Son joli petit museau rose frétille légèrement. Ses mignonnes moustaches frémissent doucement. Inutile de la réveiller, elle ne saura même pas que je suis parti. J'atteins la porte en un léger bond, mais au moment où j'avance le bras pour attraper le bouton, elle s'ouvre avec fracas. Je n'ai pas le temps de bouger que je louche sur le canon d'un flingue collé contre mon museau. Modèle Peretta 1931, à air comprimé. La référence de rue pour tout ce qui est du boulot silencieux. Il faut dire que ce pistolet fait moins de bruit qu'un pet sous la couette.

Lupo PulpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant