L'Esprit d'acier

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Penché sur son balcon amovible, Arnauld regarde les lueurs de la ville danser sous ses pieds. Dans la nuit, des lumières artificielles donnent un semblant de beauté à cette ville habillée de métal et coiffée d'une parure blanche et grisâtre, lui donnant ainsi l'allure de n'être constituée que d'un bloc. Arnauld observe et se questionne, pourquoi ces bâtiments aux façades qui se lamentent me rappellent-elles ma propre condition ? Moi, l'humain, le seul habitant du dernier étage d'une tour de cent étages. J'ai une belle vue mais celà n'as pas d'importance, ici plus les habitants fricotent avec les nuages, plus ils touchent le bas de l'échelle sociale.
Toutes ces réflexions, la nuit gardienne des secrets les couvre sous son aile à l'abri d'une civilisation qui ne le comprenait pas...
L'ère de la domination technologique étant à son apogée, plus un grain de sable dans cet univers citadin n'eût pas été en contact avec une quelconque forme d'innovation.
Pour Arnauld le temps n'est plus, a-t-il même été un jour ? Il se pose encore la question de temps à autre, il ne sait pas dans quelle année il vit, mais il connaît l'année de sa naissance, seulement il refuse de faire le calcul qu'il trouve inutile, le temps pour lui semble avoir été mis sur pause.
Lui dans tout ça ne voit aucune évolution, il a l'impression que lui seul est encore réellement capable d'évoluer, lui descendant d'humains entièrement constitué, il s'est refusé qu'on lui enlève son humanité au prix d'une vie rallongée et simplifiée. Le fait qu'il élit domicile au sommet de cette tour ne relève pas d'un choix mais d'une obligation. Les autorités de sa contrée dédaignent toute humanoïde ayant gardé sa forme originelle en dépit de la norme instaurée par le gouvernement, qui est de subir une opération onéreuse pour devenir un hybride. Mi-humain, mi-robot la quasi majorité de la population était désormais dotée d'un corps vêtu d'une peau de fer et de membres en titane.
Une ségrégation que l'humain n'avait pas connu depuis des siècles fut ainsi mise sur pieds, solidement ficelée et saupoudrée d'arguments convainquant.
Pourtant, il n'était pas seul dans cette situation, mais cet isolement spatial d'abord, mettait à néant toute envie de communiquer avec un autre humain sur le palier d'en face, si celui-ci était occupé bien entendu.
Se lamenter sur son sort, Arnauld préfère le faire en sa propre compagnie. Il a conscience de sa place dans une minorité sans aucune représentation quelconque et sait bien que la seule manière de trouver sa place dans cette cyber société est de céder son humanité au corps médical. Mais Arnauld est encore dans la vingtaine, il n'as jamais subi d'opération de sa vie et se plaît à sentir le vent frôler sa peau sensible tous les matins. Je suis jeune, un adulte en devenir se dit-il, mais j'ai des ambitions qui ne sont désormais plus de ce monde. Que dois-je faire en tant qu'individu à l'aube de l'extinction du genre humain ? Chaque bébé né, naît humain mais n'a pas le temps de savourer cette humanité et est rapidement transformé en hybride. Les seuls survivants du genre humain sont ceux nés à l'aube de la révolution technologique, avant la révolution et ceux ayant défié le système de sécurité de la nation pour naître clandestinement.
Arnauld se place dans la première des situations et eu le droit au choix, suivre la masse où ne pas la suivre tout en ayant pleine conscience des risques et concessions que celà pouvait encourir.
Vingt-ans après, penché sur un monde qu'il ne connaissait toujours pas, il se demande s'il avait fait le bon choix.
Il ne regrettait pas son humanité, bien au contraire il voyait bien quand il se balade dans les rues flambant neuves, caché sous un tas de ferraille pour se fondre quelque peu dans la masse, que le regard qu'on porte sur lui, par sa nature visible d'humain, n'est pas le regard que lui-même porte à la vue d'un hybride.
Il sait que dans ce corps-ci, il a la capacité d'émettre un avis qui ne rentre pas dans les mœurs de la société dans laquelle il vit, il a bien conscience qu'un tel changement physique entraîne de facto une transformation du psyché de l'individu.
Au milieu des cliquetis constants émis par les membres en titanes de la population, il ne se sent pas à sa place, il aime souvent se dire qu'il est un lutin dans une usine à jouets, ça a le don de le faire rire, mais seulement ces membres en titanes comme ces jouets sont sans vie, et un soupçon de Vie c'est tout ce dont il as besoin pour continuer à avancer.
Le refuge que pourrait être la Nature pour Arnauld n'est plus à portée de main; bien sûr que la nature existe encore, mais dans ce monde nouveau il semble que la nature a perdu ses droits et sa valeur. L'hybride lui, recrée de la nature à son échelle si nécessaire, mais alors cette nature est dénaturée, elle vibre au son du fer mais ne respire pas. Elle n'est seulement qu'apparence, rien de plus. L'hybride a perdu ce contact si précieux avec la Nature, ne l'ayant pas connu ou ne voulant pas la connaître, l'hybride associe désormais à la nature une fonction purement matérielle qui va lui permettre de faire prospérer son espèce.
Arnauld aurait aimé s'échapper dans un autre pays, mais la gangrène fut si fulgurante que tout échappatoire ne menait en fait qu'à une réplique de ce qu'il connaissait déjà.
L'espoir de retrouver le monde d'avant n'était plus, mais il rêvait néanmoins d'une révolution inversée, ou dans un premier temps les humains restant, combattraient les hybrides pour réclamer leurs droits mais aussi réclamer des hectares de libre pour voir une nature verdoyante reprendre de l'espace. Mais ce rêve se heurtait à nombre d'obstacles; le premier étant numérique, une poignée d'humains dénués d'une puissance surhumaine contre une armada de bras de fer ne feraient guère le poids. Le second tenant à la morale des individus, un hybride ne pensant évidemment pas comme un humain, comment cette poignée d'humains allait-elle pouvoir gérer des hectares entiers de nature, mais aussi comment allait elle pouvoir se réintégrer pleinement à une société totalement métamorphosée par la loi du semblable.

L'Esprit d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant