Chapitre 5

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Bras tendu sur les côtés à la façon d'un avion, le petit garçon courait dans le salon en faisant vibrer ses lèvres tel un moteur. De temps en temps, il faisait des commentaires pour animer et donner vie à son jeu.
Cependant, il était loin d'être le seul dans cette pièce. Au centre, assises sur un canapé crème autour d'une table basse se trouvaient ses tantes et sa mère. Elles discutaient de tout et de rien mais surtout de l'éducation de leurs enfants. Leurs tenues étaient élégantes et sobres, dont une qui portait un tailleur. La mère du petit garçon qui faisait un peu trop de bruit portait un chignon, laissant apparaître sa nuque presque aussi pâle que ses cheveux platine.
— Chao !
Le petit garçon s'arrêta brutalement dans son jeu et manqua de trébucher. Il regarda sa mère, devinant déjà ce qu'elle s'apprêtait à lui dire.
— Tu es trop bruyant, tu devrais être dans ta chambre à faire tes devoirs.
— Oui, maman... répondit-il d'une petite voix, visiblement déçu et n'ayant aucun moyen de s'y opposer.
— Si tu veux aller en classe de ski avec tes copains, c'est ce qui a de mieux à faire. Là tu pourras t'amuser.
— Oui, maman.
Le petit Chao commença à partir pour monter dans les escaliers sans discuter. Les sœurs avaient l'air impressionner de part sa droiture et son obéissance pour un si petit âge.
— Il t'écoute à merveille !
— À-t-il de bonnes notes à l'école ? Il est vrai qu'il doit s'habituer à travailler s'il veut rentrer dans une bonne école plus tard. intervient l'une des sœurs.
— Ne vous en faites pas, j'y veillerais. Chao deviendra un grand homme comme son père.
Elles se mirent à rire en s'imaginant la vie resplendissante du petit garçon. Non loin d'elles, une voix plus graveleuse et sèche retentit.
— Laisse-le ton fils, ma fille. Il n'est encore qu'en primaire.
— Je vous ai déjà dit de ne pas vous inquiéter, belle-maman. répondit la jeune femme en prenant sa tasse de thé.
La mère du père n'avait pas spécialement l'air convaincu, elle fronça légèrement les sourcils avant d'aller chercher quelque chose dans son sac.

À l'étage, à son bureau, Chao remplissait les réponses sur son cahier sans trop de difficulté. L'ennuis le gagnait et cela se lisait par sa position toute molle. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres, l'envie de refaire le bruit du moteur de l'avion lui traversa l'esprit mais il en fit rien, de peur d'être entendu par sa mère. Surtout qu'il entendait des pas se rapprocher dans le couloir. Si c'était sa mère, elle ne pourrait rien lui dire car il faisait exactement ce qu'elle lui avait demandé. Ce qui ne le stressa pas trop. Mais cela ne l'empêcha pas de regarder sa porte, appréhendant l'arrivée de cette dernière, jusqu'à voir la poignée descendre. De quoi lui faire raté un battement.
— Xaio-Chao ? fit une voix en ouvrant la porte.
— Mamie ! s'écria Chao en bondissant de sa chaise pour courir dans les bras de sa grand-père. Qu'est-ce que tu fais là, mamie ?
Caressant sa chevelure toute blanche, elle lui sourit.
— Ta mère t'as envoyé faire tes devoirs, c'est ça ?
— Oui, mais c'est trop facile, je m'ennuie. répondit-il en faisant la mou. Tu veux jouer avec moi ? On dira rien à maman.
Sa grand-mère lui proposa de retourner s'asseoir à son bureau car justement, elle avait quelque chose pour lui. Impatient, le petit garçon s'exécuta. Puis devant lui, dans les mains ridées de sa grand-mère, se trouvait un stylo avec une drôle de forme.
— Mais c'est juste un stylo.
— Ce n'est pas qu'un stylo ordinaire, mon petit. Il est magique.
Déjà émerveillé par cette description, il lui demanda de lui expliquer en quoi était-il magique. À ses côtés, elle rapprocha le cahier d'exercice devant elle, prête à écrire, Chao fronça les sourcils d'incompréhension en voyant que la mine du stylo était blanche. Ses yeux étaient rivés sur ce détail, même lorsque la mine rencontra le papier de son cahier. Sa grand-mère écrivit mais le petit garçon, perplexe, ne put s'empêcher de l'interrompre.
— Mamie, il marche pas le stylo.
— Oh que si, Xiao-Chao. Regarde !
L'autre extrémité du stylo était muni d'un bouton qu'elle l'invita à appuyer. Une lumière légèrement bleuté s'en échappa, de quoi émerveiller le regard du petit garçon.
— Maintenant, pointe vers ton cahier.
Chao l'écouta et retourna la lumière pour y voir ce que sa grand-mère avait écrit. Surpris par ces mots invisibles, il se pinça les lèvres avant de regarder sa grand-mère qui faisait de même. L'encre invisible ne se voyait qu'avec la lumière et le petit mot sur le cahier fut « on en a marre de maman ». Chao hocha la tête d'un air coupable puis les deux se mirent à rire aux éclats.
— Ça, ça sera notre petit secret. murmura la grand-mère en faisant un clin d'œil complice à son petit-fils qui fit de même. Avec ça, on pourra se donner des indices pour faire la chasse aux trésors.
— Il y a un trésor dans la maison ?
— Chuuut, personne d'autre que nous ne doit le savoir. J'ai écrit des indices, à toi de les trouver.
La bouche grande ouverte, l'enfant était terriblement impatient.
— Je fini mes devoirs et je pars à la recherche du trésor après !
Satisfaite de lui avoir fait plaisir, sa grand-mère quitta la chambre en jetant un dernier coup d'œil à son petit-fils avant de fermer la porte. Seulement, Chao ne comptait pas faire ce qu'il avait dit, descendit de la chaise de son bureau qui était encore un peu haute pour lui et chercha où écrire des mots invisibles. Sans trop chercher longtemps, il commença à écrire un peu partout histoire de tester si le feutre fonctionnait sur tous les supports et matières. L'odeur spécifique de l'encre anti-copie se dispersa dans sa chambre. À chaque dessin ou mot, il s'amusait à allumer la lampe à la lumière ultraviolette pour voir s'il avait réussi à bien faire, ce qui le faisait sourire car c'était aussi écrire des secrets à l'aveugle.
Face à son mur non loin de son bureau, il hésitait à écrire un grand secret que seul lui pourrait voir. À son âge, il n'en avait pas vraiment des secrets mais il se disait que revoir ses textes plus tard lorsqu'il sera plus grand pourrait être assez excitant. d'autant plus que ne pas les voir, le ferait certainement oublié ce qu'il avait écrit au fils des années. Mais là, enfant, avec le cerveau vif, il se souvenait exactement de chaque endroit qu'il avait texté en l'espace de quelques minutes. Tout allait si vite et il avait tant d'idées qui fusaient dans sa tête, qu'il n'entendit pas la porte de sa chambre s'ouvrir à nouveau et les pas qui se rapprochaient.
— Chao ?
Il sursauta, ce n'était pas sa grand-mère.
— Oui, maman ? répondit-il en se retournant, les bras contre sa poitrine et les épaules légèrement relevés, montrant clairement la crainte que sa mère lui procurait.
— Je ne t'avais pas dit de faire tes devoirs par hasard ? demanda-t-elle en croisant les bras, assez mécontente.
— Si et j'ai fait mais... j'ai pas fini. Mais j'ai beaucoup avancé.
— Beaucoup ne signifie pas fini !
Elle vit le stylo qu'il tenait fermement entre ses mains.
— Qu'est-ce donc ?
— Un stylo...
— J'espère que tu n'étais pas en train de dessiner sur le mur ?
Chao ne répondit pas de suite et baissa les yeux, bougeant légèrement le corps avant de répondre par une négation. Mais cela ne suffisait pas à sa mère qui lui demanda le stylo tout en le réprimandant sur l'odeur de l'encre qui pullulait dans la pièce.
— Assieds-toi et fini ce que tu as à faire ! cria-t-elle.
Fort heureusement, la grand-mère, qui avait entendu sa belle-fille monter les escaliers, l'avait suivis et décida d'intervenir en la prenant par l'épaule une fois rentrée dans la chambre.
  — Mais laisse-le, bon sang ! C'est bientôt le dîner et tu l'as fait travailler tout le week-end.
— Il doit travailler !
— Mais ce n'est qu'un enfant, il doit pouvoir s'amuser, ma fille.
— Arrête d'entraver mon éducation ! C'est mon fils !

Le 3e ŒilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant