Chapitre 2: Les dormeurs

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Je pleure silencieusement avant de me ressaisir. Je suis Séléné de la maison Ilios, l'héritière du trône. Ce n'est pas une simple claque qui risque de m'affaiblir... et pourtant, j'ai beau essayer, les larmes sur mes joues ne cessent pas d'être remplacées par d'autres. Je m'assoie sur un des canapés miteux. Je tente de cesser mes sanglots en jouant nerveusement avec ma bague pour attirer mon attention ailleurs quand j'entends un bruit dans le couloir. La même peur irrationnelle de ce matin m'envahit. C'est doucement que je me lève et me dirige vers la porte, je l'ouvre. Le vieux bruit du bois trahit ma discrétion, mais j'en passe outre et regarde dans le couloir. Rien, je soupire et referme la porte. J'attends quelques secondes pour m'assurer qu'aucune larme ne coule sur mes joues avant de sortir dans le couloir et de marcher vers la salle de bal. Le bruit de la foule se fait vite entendre, ma mère a repris sa place sur le trône et mon père, lui, semble être absent. Il se serait retiré avant le grand discours ? Impossible, jamais il ne le manquerait. Je revérifie une dernière fois la pièce et remarque la présence des gardes. Aurais-je rêvé de leur absence ? J'en doute. Perdue dans mes pensées, je me dirige naturellement vers un des canapés vides. Je m'assois dessus et titille la bague à mon pouce. À peine quelques secondes plus tard, je sens le canapé s'affaisser sous le poids de quelqu'un. Ambrose me regarde, second fils d'un duc et mon ancien amant. À une époque, j'ai même souhaité l'épouser. Une requête refusée par mon père, la fille du roi méritait mieux qu'un second fils.

- Ambrose ? demandai-je tendrement, je n'arrivais jamais à être froide avec lui.

- Comment allez-vous, votre altesse ? me demande-t-il gentiment.

- Ne m'appelle pas comme ça, tu sais très bien que je déteste ça.

- Très bien, comment vas-tu, Séléné ?

- Ça va pour le mieux et toi ? dis-je en soupirant.

- Moi ça va, mais toi, tu ne sais toujours pas mentir. Il pose sa main à l'endroit où ma mère m'a giflée plus tôt. Son touché est comme un médicament ou un remède à tous mes maux. Je n'ai certes plus de sentiments romantiques, mais on n'oublie pas facilement la personne qui faisait battre notre cœur. Je retire sa main de mon visage, mais la garde quand même dans la mienne.

- Je voulais te dire quelque chose, me dit-il avec tristesse.

- Qu'y a-t-il ?

- Je suis fiancé.

Je soupire et rectifie une de ses mèches rebelles en la plaçant derrière son oreille. Ses cheveux bruns et bouclés dans ma main sont si familiers et pourtant si lointains. Sa simple présence fait remonter à la surface des souvenirs doux avec une fin amère.

- Est-elle bien pour toi ?

- Je m'en contenterai, répond-il sèchement.

Je fronce les sourcils, que veut-il dire par là ? Ça ne ressemble pas à l'Ambrose que je connais.

- C'est toi que je veux épouser, et ce le sera toujours. Je t'aime depuis notre enfance et jamais rien ne pourra le changer... C'est tellement injuste. Si j'étais née le premier, alors peut-être que j'aurais été assez...

Je mets brusquement mon index sur sa bouche, une douleur vive se manifeste dans ma poitrine, comme si chaque mot sorti de sa bouche me poignardait.

- Ne dis pas n'importe quoi, tu n'y es pour rien.

Je sens ses mains devenir soudainement froides. Je le regarde et remarque que le vert de ses yeux a tourné au brun. Un brun si foncé qu'on ne voit presque pas sa pupille. Je lâche brusquement sa main et me lève.

- Ambrose...? demandai-je.

Il murmure quelque chose d'incompréhensible avant de s'écrouler sur le canapé. Je pousse un hurlement et, avant même que je ne puisse faire quoi que ce soit d'autre, la salle s'écroule autour de moi. Les gens un par un tombent, le bruit de leurs corps martelant le sol. Je lève les yeux quand j'aperçois que même les gens au balcon tombent. Des dames basculent en avant de la rambarde, la tête la première, et le bruit sinistre de leurs crânes se fracassant par terre s'ajoute au bruit assourdissant de la pièce. Plus la panique monte en moi, plus ma respiration s'accélère. J'entends un autre hurlement, pas le mien cette fois. Ma mère s'est levée de son trône, mais c'est à peine un instant plus tard que son teint, déjà habituellement pâle, devient livide. Comme si on avait volé toute son énergie. Et comme tous les autres, elle s'écroule sur le sol. Elle dégringole les quelques marches qui séparent son trône du sol avant de rester immobile. La salle est maintenant silencieuse, ce silence est tellement pesant que j'en oublie même de respirer. D'une main hésitante, je secoue Ambrose qui ne bouge pas d'un poil. Son corps est tellement froid, glacé même. Je retire ma main et regarde autour de moi. Je tente de ne pas paniquer, je marche d'un pas hésitant vers le bout de la salle, esquivant les corps au passage. J'arrive devant le corps de ma mère, je m'abaisse à son niveau et la secoue un peu plus violemment qu'avec Ambrose.

- Réveille-toi !

Mais elle ne bougea pas d'un poil, comme tous les autres autour. Je me relève doucement et me retourne. Isolde se tient là, me regardant tristement. Je la regarde et sens un mélange de peur, frustration et de tristesse monter en moi.

- Qu'est-il arrivé...? murmurai-je.

- Ils sont morts, me dit-elle brusquement.

- C'est toi qui as fait ça ? demandais-je, la voix tremblante.

Elle soupire et regarde ailleurs, puis son regard se repose sur moi.

- Ça n'a pas d'importance, tu es encore en vie.

- Quoi ?

- Je ne sais même pas ce que ça signifie.

Elle se retourne et commence à s'en aller.

- Attends !

Je commence à la suivre, empressant le pas tout en évitant de marcher sur les cadavres.

- Arrête de me suivre, m'ordonne-t-elle sans s'arrêter.

- Explique-moi ce qu'il se passe ! Isolde !

Elle se retourne brusquement lorsque je crie son nom, elle m'attrape par le col de ma robe, déchirant légèrement la dentelle.

- Tu ne comprends pas, me dit-elle, elle semble apeurée tout comme moi mais pour une autre raison.

- Explique-moi alors !

- Je dois m'en aller avant...

Elle est coupée quand le sol du château se met à trembler si fort que je tombe au sol. Elle s'agrippe à moi, évitant de tomber trop brusquement. L'immense lustre bouge dangereusement avant de tomber bien trop près de nous. Elle se jette sur moi, nous faisant esquiver de peu la lampe. Elle se lève difficilement, manquant de perdre l'équilibre à chaque instant, puis me tend sa main.

- Allez ! On doit s'en aller avant que le château tombe en ruine !

Je la prends, Isolde me tire pour me mettre debout. Je regarde la porte au loin, qui s'effondre. Je sens la panique monter en moi. Je serre plus fort sa main comme si elle m'empêchait de tomber. J'entends un bruit de craquement, puis deux, puis trois, jusqu'à ce que je me rende compte que ce bruit vient juste en dessous de mes pieds. Je regarde lentement quand je vois une immense fissure sur le sol. Isolde la remarque en même temps que moi. Sa prise sur ma main se resserre encore plus jusqu'à ce que le sol s'ouvre en deux. Avant même que je me rende compte, je vois tout défiler autour de moi, le vent me fouettant le visage. Des corps inanimés tombent avec moi. Je réalise que je ne sens plus la main d'Isolde dans la mienne. Cela dure encore quelques secondes, quand je sens une douleur vive dans mon dos, j'ai percuté quelque chose, je m'y agrippe de toutes mes forces. Dans la pénombre, je n'arrive pas à comprendre la nature de l'objet, mais je ne m'en soucie pas, ça me maintient, c'est tout ce qui compte. Je sens le bois craquer sous mon poids, ce qui me fait donc comprendre que je suis probablement sur une planche en bois toute moisie qui n'a pas vu la lumière du jour depuis plus d'un siècle. Le bois craque une fois encore, alors je m'accroche à la dernière chose qui peut me maintenir, ma foi :

« Oh dame de lumière,
La mort, non, je ne crains pas,
Car même le plus sombre des noirs,
Est éclairé par ta voix. »

Le bois craque une dernière fois et je tombe à nouveau. Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais j'entends un bruit sourd, de la douleur se dispersant dans tout mon corps. Mes yeux se ferment, puis plus rien.

À suivre...

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 20 ⏰

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