Chapitre 1 : Héméra

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Je m'installe en plein centre de l'amphithéâtre, les coudes appuyés contre la table. La rentrée en première année de licence est encore toute fraîche, et l'excitation qui flottait en l'air il y a quelques jours est déjà retombée, laissant place à une routine monotone. Je ferme les yeux un instant, essayant d'échapper au bourdonnement continu des discussions environnantes. Mes mains remontent doucement vers mes tempes, et je commence à masser délicatement la zone autour de mes tympans, espérant calmer les battements saccadés de mon cœur.

Mes paupières deviennent lourdes. Le murmure monotone du professeur se fond en un bruit blanc, une litanie diffuse et indescriptible. J'essaie de me battre contre l'envie de fermer les yeux, mais le sommeil est une force implacable. Les discussions autour de moi deviennent un écho lointain et les lumières de l'amphithéâtre se brouillent, se fondant en des halos indéfinis. Un voile obscur descend lentement, étouffant chaque son, chaque lumière, et me précipitant dans un autre monde.

Je me retrouve soudain debout dans un couloir austère et familier. Les murs, griffés par le temps, sont éclairés par des lampes suspendues projetant une lumière vacillante. Des ombres grotesques dansent, se métamorphosant en créatures menaçantes qui semblent vouloir m'envelopper. Je suis plus jeune, une petite fille avec des tresses blondes et une robe trop grande pour moi, une tenue commune dans cet orphelinat.

— Sanguis bebimus, corpus edimus, tolle corpus Satan, je murmure, mes lèvres formant les mots qui m'étaient devenus étrangement familiers.

Littéralement, je répétais « Nous buvons le sang, nous mangeons le corps, ô Satan prend le corps. » Une phrase noire, apprise par cœur dans les parcelles d'ombre. Un frisson glacé court le long de mon échine.

Les souvenirs de cet endroit ressurgissent, aussi vif que le jour où je les ai vécût. Les crucifix qui ornent les murs me fixent de leurs regards accusateurs, leurs symboles sacrés comme une malédiction silencieuse. Mes mains, si petites et frêles, effleurent la surface rugueuse du bois. Je les retourne un par un, les inversant dans un acte de rébellion dérangeant. Chaque croix inversée semble me rapprocher d'une vérité sombre et cachée.

— Sanguis bebimus, corpus edimus, tolle corpus Satan, je répète, ma voix résonnant faiblement contre les pierres froides des murs.

Cette litanie latine m'offre un étrange réconfort. C'est comme si ces mots obscurs contenaient un pouvoir capable de pervertir la terreur pieuse de l'endroit.

J'avance dans le couloir et les croix inversées se multiplient. Les flammes de bougies vacillantes lèchent le sol de pierre, projetant des ombres sinueuses et mouvantes. Le froid s'infiltre en moi, me glaçant jusqu'aux os. Je continue à parler à haute voix, sans trop savoir à qui je m'adresse. Peut-être à moi-même, peut-être à cette entité obscure qui semble tapie dans chaque recoin de mon esprit.

Les vitres teintées par le temps ressemblent à des vitraux lugubres, laissant filtrer une lumière blafarde et spectrale. La sensation d'obscurité se fait plus oppressante, envahissant chaque parcelle de mon être. Est-ce ce que l'on appelle la folie ?

— Sanguis bebimus, corpus edimus, tolle corpus Satan, dis-je une dernière fois alors que le monde onirique commence à se dissiper, se morcelant en fragments irréels sous mes yeux. Peu à peu, l'image des crucifix inversés et des yeux écarlates de la créature hantée s'efface, me laissant sombrer dans un vide noir.

Poussée par une force invisible, je pousse une lourde porte à double battant qui grince sur ses gonds rouillés. Derrière, une église vide se dévoile, figée dans les souvenirs lointains et oppressifs de mon enfance.

Une des nonnes se précipite vers moi, ses habits noirs flottant autour d'elle comme un nuage d'orage. Sœur Magdalene, une femme à la poigne de fer et aux yeux perçants comme des lames, n'était jamais loin des enfants. Ses pas autoritaires résonnent dans le couloir et, d'un geste rapide, elle m'attrape par le bras me traînant sans ménagement vers l'avant de l'église.

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