Prologue

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L'air moite de la forêt cerne mon bunker, camouflé sous un épais manteau de feuillage et de lierre, même en cette période d'automne où les feuilles commencent à roussir. Peu nombreux sont ceux qui connaissent l'existence de ce refuge maudit, un lieu où le monde invisible se mêle brutalement à la réalité. À mesure que la nuit avance, les frontières entre le tangible et l'éthéré s'effacent. Dans cette obscurité, la lune parvient à envoyer ses rares éclats à travers la canopée, dessinant des motifs inquiétants sur le sol détrempé par les pluies récentes. Les cigales, habituellement ferventes, se taisent face à l'aura de terreur régnant ici, laissant place au bruissement des feuilles mortes mêlé à un silence oppressant.

Je traîne péniblement ma victime derrière moi, ses membres entravés se traçant sur le sol froid et humide. Chaque racine, chaque pierre malmenée par son corps inerte résonne comme un écho funèbre dans la nuit silencieuse. Lui, déjà à moitié inconscient, respire avec difficulté. J'atteins finalement l'entrée du bunker, une trappe habilement dissimulée sous un tapis de feuillage. D'un geste précis, je l'ouvre, révélant l'ouverture béante vers un autre monde.

Au cœur du bunker, l'atmosphère est plus dense et glaciale. La lumière vacillante d'une ampoule nue projette des ombres mouvantes sur le béton brut, diffusant une ambiance oppressante, presque tributaire d'un jugement dernier. Les lourdes chaînes suspendues aux murs ajoutent une lourdeur palpable à la pièce, en compagnie d'une panoplie d'instruments de torture méticuleusement étalés : pinces, couteaux, barres de fer, fouets. Cet air chargé d'odeur métallique nourrit l'angoisse qui pèse ici comme un couvercle de désespoir.

Le grondement discret du tonnerre, comme l'écho d'une symphonie lointaine, joue une bande-son funeste pour cet instant suspendu. Sur le sol froid, des rivières de sang séché serpentent, témoins muets d'épisodes macabres passés. Face à moi, sur une chaise métallique au centre de la pièce, Ronold, l'homme enchaîné, me regarde avec des yeux embués de peur. Un putain de déchet abject que j'ai enfin retrouvé après des mois de chasse. Sa respiration hachée se mêle au climat effroyable de ma forteresse. Catalina... cette gamine innocente ayant souffert par son unique faute. Son insanité hystérique et ses agissements infâmes ayant entraîné la mort injuste d'une môme âgée de sept ans.

Ce fils de pute allait payer pour ses actes.

Je m'avance lentement, enveloppé dans mon long manteau noir, semblable à une ombre s'étirant à travers la salle. Ma capuche dissimule entièrement mon visage tandis que mon masque cornu, inquiétant, efface toute trace de mon humanité. Seuls mes yeux, blancs et inhumains, brillent dans la pénombre, capturant chaque nuance de sa terreur. Mon passage projette une ombre menaçante sur cet homme, accentuant l'aura de peur qui l'entoure. À cet instant, je me sens roi. Maître absolu de chaque instant qui se succède, je domine le temps, le seul à détenir entre mes mains les fils du destin, imposant ma volonté sur ce monde impuissant. Mes ailes ne prendront pas la flamme du Soleil comme le fut avec Icare, ce moins que rien, non. Les miennes sont faites de fer, lourdes et indestructibles. Je demeure près des enfers, tel l'Érèbe, éternellement plongé dans un brouillard noir et impénétrable où les silhouettes et la souffrance se confondent.

Ce n'est pas de la vengeance, c'est de la justice. Je ferme les yeux sur la pitié et reste avec un cœur de pierre, prêt à accomplir ce qui doit être.

— Alors, Ronold. Nous y voilà enfin, dis-je d'une voix grave et posée.

Mes mots résonnent dans l'espace exigu, comme un écho se perdant parmi le bruit persistant de l'eau suintant des murs. Les yeux de ma victime roulent dans leurs orbites, cherchant désespérément une échappatoire dans ce monde cauchemardesque.

Je devrais peut-être les lui retirer. Ne serait-ce que pour les avoir posés sur le corps innocent d'un bambin.

— Pitié... Je n'ai rien fait, je... ah non ! gémit-il, son corps tout entier tremblant dans une supplication désespérée, un appel qui s'écrasera dans le vide.

Je pose une main lourde sur son épaule, mes doigts se resserrent sur sa chair d'une froide détermination, provoquant un sursaut de sa part. Quelle pourriture. Si seulement la sélection naturelle avait fait son putain de boulot. Il ne sait pas à quel point ses supplications sont inutiles, d'un ennui aberrant face à moi, l'Érèbe. Ses muscles se contractent sous ma poigne rigide, une tentative futile de se libérer de l'étau de son destin.

Under The raven's featherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant