Prologue

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«  C'est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante » Paul Coelho

Rêver! Je rêves les yeux ouverts, mélancolique et excessive comme si je participais réellement à une révolution en marche. Parce que je rêve vraiment que je suis étrangère et stupide comme si je m'apprêtais à faire sauter un pont.

Youma est là, assise en face de moi. Ses gestes lents et calculés témoignent d'un raffinement presque exagéré. Elle porte une robe fluide en soie turquoise qui épouse délicatement son teint noir, brillant sous la lumière tamisée du restaurant. Ses boucles lâchées encadrent son visage, mais ce sont ses yeux qui captent toute mon attention. Un marron profond, souligné d'un trait d'eyeliner parfaitement dessiné, ses yeux expriment cette frustration silencieuse que je connais trop bien. Elle attend une réaction de ma part, une réponse à ses mots, mais tout en elle semble crier que, cette fois-ci, elle est fatiguée de parler dans le vide.

Quant à moi, je me noie petit à petit dans un flot de pensées. J'ai enfilé une simple robe en coton blanc, laissant mes affaires traîner négligemment sur la chaise à côté. Mon sac est plein de notes en désordre, des livres que je n'ai pas eu le courage d'ouvrir depuis plusieurs jours. Le ciel s'étend au-dessus de nous, l'horizon engloutissant lentement la lumière du jour. Les vagues frappent les marais comme des amants en quête d'un amour impossible, ivres de leur propre liberté. Un vent léger soulève les cris étouffés des enfants qui courent sur la plage, ignorant la bataille silencieuse qui se livre autour d'eux.

Youma parle encore, ses mots se fondent dans le murmure ambiant de la terrasse. Elle me raconte ses problèmes avec Cheikh, son petit ami. Je l'écoute sans l'entendre vraiment, trop absorbée par mes propres rêveries. Peut-être que je suis déjà trop loin pour revenir à la réalité. Les vagues... elles sont comme des souvenirs qui viennent frapper contre mon esprit, mais qui ne trouvent jamais vraiment leur place.

Youma soupire, et je reviens brusquement à elle, prise de court par le silence soudain qui s'est installé entre nous. Elle me regarde, un mélange d'amusement et de lassitude dans les yeux. Elle sait que je ne l'ai pas écoutée, pas vraiment. Pourtant, elle reste là, figée dans sa beauté, semblant attendre un miracle.

— Raïssa, tu m'écoutes ?
Je hoche la tête, mécaniquement. Mais la vérité, c'est que je ne sais pas quoi lui dire. Ce genre de drames amoureux m'est étranger. Les palpitations, les disputes, les réconciliations passionnées... tout cela m'échappe. De toute ma vie, je n'ai jamais ressenti cette urgence de l'amour, ce besoin viscéral de l'autre. Je suis une étrangère dans ce domaine.

Je tente de dire quelque chose, n'importe quoi pour briser ce silence oppressant.

— Excuse-moi, You...

Elle ne me laisse même pas finir. Son visage se ferme, et elle ramasse précipitamment ses affaires. D'un ton sec, elle lance :

— On ne peut jamais compter sur toi. De toute façon.

Ses mots me frappent, mais ils ne trouvent pas de résonance immédiate. Je la regarde partir, sa démarche est rapide, presque hargneuse, comme si elle fuyait non seulement moi, mais aussi ce qui la ronge à l'intérieur. Je tente de l'appeler, mais ma voix me trahit.

— Youma...

Le reste de la phrase se noie dans le vacarme de la terrasse. Mon verre est toujours intact, je n'ai même pas bu une gorgée. Elle a emporté ses notes avec elle. Comment vais-je rattraper le cours de psycho clinique maintenant ? Le vide qu'elle laisse derrière elle pèse lourd. J'ai envie de pleurer, mais les larmes refusent de venir. J'ai l'habitude d'être seule. Pourtant, à cet instant, la solitude me paraît insupportable.

Alors que je m'apprête à ranger mes affaires, quelque chose atterrit à mes pieds. Un livre. Avant même que je ne le ramasse, une silhouette imposante s'interpose entre moi et la lumière du jour. Un parfum boisé emplit l'air, et je lève les yeux pour rencontrer celui d'un inconnu. Grand, probablement plus d'un mètre quatre-vingt, il est courbé au-dessus de moi, ramassant mon roman.
Un livre qui semble parler de légende personnelle et de tout un blabla philosophique. Cela fait déjà une semaine que la bibliothèque universitaire me le réclame, un délai qui m'a valu quelques rappels insistants. Je l'avais pris en pensant qu'il m'accompagnerait durant mes moments de solitude, lorsque le manque de mon ancienne vie me rattraperait. Mais, contre toute attente, ces dernières semaines, je n'ai pas eu le loisir d'être triste ni de m'abandonner à mes rêveries.

Les fractures du cœur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant