Une relation épistolaire

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C'était un après-midi tranquille à Charleville, où Arthur Rimbaud vivait encore sous le toit austère de sa mère. La petite ville ne voyait en lui qu'un adolescent étrange, insolent, toujours le nez plongé dans des livres ou occupé à griffonner des vers dans les marges de ses cahiers. Mais dans son esprit enflammé, Charleville n'était qu'une prison à ciel ouvert, un lieu qui l'étouffait, loin des cercles littéraires parisiens où il rêvait de briller.

Arthur se sentait prêt. À 16 ans à peine, il avait déjà écrit des poèmes qui, selon lui, surpassaient ceux des plus grands. Son ambition bouillonnait et, un jour, après avoir relu l'un de ses écrits, un sentiment d'urgence le saisit: il devait partager ses créations, quitter cette province qui bridait son génie. Et, parmi les poètes de Paris, un nom revenait souvent: Paul Verlaine.

Verlaine, ce poète déjà reconnu, membre des cercles littéraires parisiens, semblait être la porte d'entrée idéale vers la gloire. Rimbaud avait entendu parler de lui et de son recueil Romances sans paroles, un homme sensible, doué d'une voix poétique singulière, mais coincé dans une vie monotone. Leurs univers devaient se rencontrer, il en était convaincu

Ce jour-là, assis sur son vieux bureau de bois, Arthur saisit une plume et une feuille de papier avec une détermination presque furieuse. Son écriture était rapide, nerveuse, pleine de cette énergie sauvage qui le caractérisait. Il savait que cette première lettre devait être un coup de tonnerre, une provocation, une invitation à l'audace.

Charleville, août 1871

Cher Monsieur Verlaine,

Je me permets de vous adresser ces vers, car il me semble qu'ils pourraient trouver écho chez un homme tel que vous, capable de reconnaître la vérité brute d'une poésie qui s'éloigne de la fadeur et du conformisme. J'ai lu vos écrits, et bien que je ne me reconnaisse pas totalement en eux, je crois que vous êtes de ceux qui pourraient comprendre ce que je cherche à créer.

Vous êtes sans doute entouré de tous ces poètes à la langue mesurée, incapables de sortir de leur cadre. Mais moi, je veux aller au-delà. La poésie doit être une révolution, un éclat de lumière dans la nuit, pas une caresse rassurante.

Je vous joins donc quelques-uns de mes poèmes. Si cela vous inspire, alors peut-être que nous pourrions échanger davantage. Je suis persuadé que Paris peut encore voir naître quelque chose de nouveau, quelque chose de vrai. Et pourquoi pas nous ?

Cordialement, Arthur Rimbaud.

Arthur relut la lettre avec un sourire en coin. Il savait que ses mots allaient intriguer Verlaine, le secouer peut-être, mais c'était exactement ce qu'il cherchait. Rimbaud n'était pas du genre à jouer la modestie. II plia soigneusement le papier, le glissa dans une enveloppe qu'il scella avec une goutte de cire rouge et partit aussitôt déposer la lettre à la poste.

Les jours suivants, l'attente fut insupportable. Il errait dans les rues de Charleville, impatient, fébrile. Il imaginait Paul Verlaine, dans son appartement parisien, lisant sa lettre, ses poèmes, et ressentant le choc de ce style nouveau, brut, sans concession. II voulait bousculer ce monde littéraire qui lui paraissait trop sage, trop convenu.

Après ce qui sembla une éternité, la réponse de Verlaine arriva enfin. L'enveloppe, élégante et soignée, portait une odeur légère de tabac et de poussière d'encre, comme si elle avait traversé des salons pleins de livres et de discussions animées. Arthur déchira presque l'enveloppe, trop impatient pour attendre.

Paris, septembre 1871

Cher Rimbaud,

Votre lettre m'a surpris. Non pas par votre assurance - je connais cette fougue propre à la jeunesse - mais par la violence de vos vers et l'audace de votre pensée. Vos poèmes ont quelque chose de brut, de sauvage, et si je dois être honnête, ils m'ont à la fois dérangé et fasciné.

Il y a dans votre plume une force que je ne saurais ignorer. Je ne sais si nous partageons exactement la même vision de la poésie, mais je sens qu'il y a chez vous un potentiel indéniable. L'irruption de cette énergie nouvelle me laisse entrevoir la possibilité de quelque chose de plus grand.

J'aimerais poursuivre cet échange. Peut-être qu'à travers nos lettres, nous trouverons un terrain où nos esprits pourront se rencontrer.

Cordialement, Paul Verlaine

Arthur resta un moment silencieux, ses yeux rivés sur le papier. C'était une réponse plus mesurée qu'il ne l'avait imaginée, mais il y avait là une ouverture, une promesse d'échanges futurs. Verlaine avait été intrigué, c'était certain. Rimbaud ne doutait pas qu'il finirait par séduire cet homme avec sa poésie radicale, et même plus.

Ce premier contact scella le début de leur relation épistolaire. Chaque lettre d'Arthur était une nouvelle provocation, chaque réponse de Verlaine, un peu plus fascinée, un peu plus troublée. Rimbaud, du fond de sa province, sentait déjà qu'il avait mis un pied dans le cercle des poètes de Paris. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne rejoigne la capitale et ne se confronte enfin à ce monde qu'il rêvait de bouleverser.

Ce monde, et Paul Verlaine en premier lieu, n'étaient pas encore prêts pour la tempête qu'allait provoquer l'arrivée de ce jeune poète turbulent et insaisissable.

L'homme Aux Semelles De VentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant