Chapitre 2

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                    Alba

Je m'assieds à l'arrêt de bus, mon ticket en main, priant pour que le temps ne passe pas trop vite, que je puisse rester ici, dans ce moment de calme, loin de tout.

Mais au fond, je veux juste rentrer chez moi, aller sur la tombe de mon père.

Je jette un coup d'œil aux groupes d'hommes qui fument des substances douteuses. J'ai l'impression d'être l'une d'entre eux, noyée dans un monde qui n'est plus le mien.

— Hé, ma jolie, tu veux te joindre à nous ? crie l'un d'eux.

— Non, murmuré-je presque sans le regarder.

— Tant mieux, rétorque-t-il.

Je sens leurs regards peser sur moi, me détaillant de haut en bas. Mon corps se crispe, la chair de poule grimpe le long de mes bras, et je suis sur le point de m'enfuir lorsque le bus s'arrête enfin devant moi. Je m'empresse de monter à l'intérieur.

Comme toujours, je m'assieds tout au fond et mets mes écouteurs. Le trajet est court, et avant que je m'en rende compte, le bus s'arrête devant chez moi. Je descends et me dirige vers la maison. La porte est grande ouverte, et j'entends des rires d'hommes à l'intérieur.

Je prends l'entrée de derrière, je sais déjà ce qui m'attend. Ce sont encore ses amis, ceux que je déteste, ceux qui envahissent la maison chaque fois que maman est au travail. Ils sont toujours là, à boire et à rire de tout, surtout de moi.

Je parviens à entrer dans ma chambre sans être vue. Mon écharpe retrouve sa place habituelle dans l'armoire, et mon petit sac atterrit sur le lit.

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Je passe la journée à regarder des séries sur Netflix, essayant d'oublier la réalité, mais au fond, je n'y arrive pas vraiment. Le soir venu, les cris de mon beau-père résonnent dans toute la maison. Je suppose que ma mère a encore reçu une promotion, et qu'ils fêtent ça. Ils célèbrent toujours quand maman ramène de l'argent.

Avant, quand maman rapportait de l'argent grâce à son travail de femme de ménage, papa n'était jamais content. Il préférait qu'on soit tous ensemble, à la maison. Maintenant, tout est différent.

Mon ventre gargouille, me rappelant que je n'ai pas mangé de la journée. Je me change en short et t-shirt, enfile mes pantoufles et sors de ma chambre. En haut des escaliers, complètement fatiguée, je suis sur le point de descendre quand j'entends une conversation étrange entre ma mère et quelqu'un dont je ne vois pas le visage.

— Tu as deux jours pour nous payer le reste, dit une voix grave.

— Mais c'est impossible, répond ma mère, la voix tremblante, reniflant presque.

Je jette un coup d'œil en bas et vois mon beau-père, gisant sur le sol, baignant dans une mare de sang.

— Tu feras alors l'impossible pour nous payer.

Dans quoi est-ce que maman s'est encore fourrée ? C'est quoi cette histoire d'argent ?

Je regarde les cinq hommes qui entourent ma mère. Leur allure est inquiétante, leurs visages graves, menaçants. Ils ont l'air de sortir d'un film de gangsters. Mon cœur s'emballe, et je me retiens de crier de terreur lorsque je vois l'un d'eux braquer une arme sur la tête de ma mère.

— Tu vas dire quelque chose de plus utile, ou je tire, menace-t-il.

— Je... je n'ai rien, je vous le promets, balbutie ma mère.

L'homme recharge son arme, prêt à tirer.

Je veux descendre, courir pour la protéger comme n'importe quelle fille ferait pour sa mère. Mais ce que j'entends ensuite me paralyse, me brise en mille morceaux.

— J'ai une proposition à vous faire, dit ma mère, désespérée de sauver sa vie.

— Je t'écoute, répond l'homme avec sa voix rauque.

— Je vous donne ma fille en échange, je ne paierai rien.

Je sens les larmes couler le long de mes joues. Je n'aurais jamais imaginé que ma propre mère serait capable de me faire ça. Alors toutes ces années où elle me chérissait aux yeux de mon père, c'était du bluff ? Elle faisait semblant ? Ou m'aimait-elle vraiment, au fond ?

— Je vais en parler au patron, dit l'homme en reculant.

— Je vous en prie, ma fille est très belle, elle pourrait vous être utile à bien des égards, ajoute ma mère d'une voix implorante.

— Ce n'est pas à toi de décider. On reviendra en temps voulu, conclut-il.

Après ces paroles, l'homme quitte la maison avec ses gardes.

Je regarde ma mère courir pour secourir son mari, et un dégoût immense m'envahit. J'ai envie de vomir. Comment a-t-elle pu me vendre comme un objet ? Je préfère mourir que d'être échangée comme une vulgaire marchandise.

*

Je retourne dans ma chambre, le cœur lourd et l'esprit confus. Je n'arrête pas de repenser à ce qu'elle a dit. Encore et encore. Elle m'a trahie.

Je m'allonge sur mon lit, à côté de mon ordinateur toujours allumé, espérant que le sommeil vienne me chercher. Mais il ne vient pas.

Ce n'est qu'à cinq heures du matin que je parviens à m'endormir, juste avant que mon réveil ne résonne bruyamment. Je me lève en sursaut, les yeux lourds et l'esprit embrumé. Mes pieds touchent le sol froid, et je me traîne jusqu'à la salle de bain pour me brosser les dents et prendre une douche rapide.

Après ça, j'enfile mon t-shirt rose, celui sur lequel est écrit *Prince Gaël*. J'adore ce t-shirt. Mon père me l'avait offert pour mes quinze ans. C'est le plus beau cadeau que j'aie jamais reçu.

Je mets ensuite mon plus gros pantalon et prends mon sac avant de sortir de la pièce.

En descendant les escaliers, je sens une petite lueur d'espoir, une force intérieure qui me pousse à affronter cette journée de lycée. Mais mon sourire s'efface aussitôt lorsque je vois tout ce désordre dans le salon. Des verres brisés au sol, mon beau-père assis au milieu du chaos, un bandage autour du cou, et ma mère qui se tient debout, comme si de rien n'était.

— Oh ma chérie, tu as bien dormi ? me demande-t-elle avec un grand sourire.

Je suis prise de stupeur. Depuis la mort de mon père, c'est la première fois qu'elle semble se soucier de moi.

Mais non, réveille-toi, Alba. Ce sourire, cette attention, ce n'est qu'une façade, une manière d'ouvrir la porte à ses sombres désirs.

— Oui, dis-je doucement, en évitant le regard de mon beau-père.

— Tu veux manger quelque chose ?

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ? demandé-je, espérant qu'elle ne me crie pas dessus.

— Rien, ma chérie, ton père a juste glissé sur le sol mouillé, répond-elle d'une voix légère.

Je me sens complètement perdue. Comment peut-elle me mentir aussi facilement ?

— Je... je dois y aller, dis-je en balbutiant.

— Tu veux que je te dépose ? propose-t-elle avec ce même sourire hypocrite.

Pinçez-moi.

AlbaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant