Le voyageur, 1/3

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Le vent soufflait et couinait entre les planches lorsqu'on frappa à la porte.

— Ent'ez, ent'ez ! s'exclama le père en se précipitant pour ouvrir.

Tandis que la mère délaissait un instant le chevet de l'enfant et portait ses yeux gonflés de larmes vers le seuil, où une silhouette encapuchonnée venait d'apparaître. Le voyageur entra, sous les invitations bourrues du père ; de fait, le père poussait le voyageur plutôt qu'il ne l'invitait, et cette maladresse empressée froissait un peu les lois de l'hospitalité. Le voyageur, s'il s'en souciât, ne le fit point remarquer ; il avança dans la lumière et ôta sa capuche, comme s'il se débarrassait d'une toile d'araignée et non d'un vêtement. Quelques cheveux gris tachaient sa chevelure, mais sa peau lisse était plutôt celle d'un jeune homme. Une vilaine cicatrice en forme de tâche ornait sa joue. Il se racla la gorge :

— Vous m'avez demandé, dit-il.

— Vi ! Vi ! s'emporta le père en faisant de grands gestes. C'est-y not' p'tit Hem, y est malade.

— Y meurt, geignit la mère.

Comme pour confirmer ses dires, le malade s'emporta d'une quinte de toux.

— Y faut faire queq' chose ! reprit la mère – c'était cette fois un couinement.

Le voyageur se tourna vers le père qui, après s'être activé à l'introduire avec tant de bonhommie, se tordait les poignets en restant immobile, entre la porte et le lit. L'éclat d'un feu éclairait des traits fatigués et une peau ridée burinée de soleil. Sa chemise, couturée de partout, pendait au col, dénudant une épaule rude. Le voyageur inspira en considérant l'unique pièce à vivre. Il aurait espéré un peu de faste et de chaleur dans cette pauvre demeure, mais la chaumine empestait la merde et le gruau froid.

— De l'eau, de l'eau chaude, dit-il, sachant ses hôtes suspendus à ses lèvres.

— Vi ! Vi ! Pou' sûr. La ma'mite elle bout déjà.

— On l'y a mise avant qu'vous arrivez, ajouta la mère avec espoir, et peut-être un peu de fierté.

Le voyageur plissa les yeux et se pinça le nez.

Dans le recoin aménagé en foyer, des braises réchauffaient une marmite en fonte toute cabossée ; elle crachait une fumée poisseuse, fleurait la gadoue plutôt que l'eau vive de rivière. Un linge sale à l'allure de suaire pourrissait, accroché au mur comme une vieille relique. Un épi desséché du blé de la première moisson avait été cloué à une planche. Des paysans ? le voyageur n'avait pourtant vu nul champ à l'entour, rien qu'un potager en friche derrière la chaumine. Il fronça les sourcils, ménageant un pli sur son front lisse. Le sol de terre inégal, comme labouré, s'encombrait de brins d'herbe desséchés, de traces noires laissées par les cendres et d'autres déchets. Malgré la générosité d'odeurs, le voyageur devinait celle des bêtes. Des chèvres habitaient là d'habitude, mais étaient absentes ce soir.

Le voyageur s'approcha de la paillasse tandis que la mère s'écartait, avec une crainte teintée de respect. Elle gardait le poing fermé, la main serrée sur quelque fétiche. Sur la paille du lit familial était étendue une laine mitée ; dessus : un corps fragile et moite, enfoui sous une peau pestilentielle. L'enfant dormait, des mèches de cheveux collées sur son front cuisant. Le voyageur s'agenouilla, observa le malade. Son visage figeait toute la difficulté de son sommeil : sa bouche tordue en un rictus pénible. Chaque inspiration faisait se soulever sa poitrine, chaque expiration sifflait dans sa gorge. Le voyageur n'avait pas besoin de découvrir l'enfant pour deviner ses cotes saillantes, pas plus qu'il n'avait besoin de toucher son front pour sentir la fièvre. Mais il posa sa main et sous sa caresse la peau brûlante s'anima. Les traits de l'enfants se détendirent et il entrouvrit la bouche : il respirait mieux.

Nouvelles de l'UsnWhere stories live. Discover now