Le vent souffle, il rugit, forme et déforme les dunes de sable brûlant. L'air est moite, saturé de poussières. Le sable tourbillonne, s'élevant de quelques centimètres au-dessus des dunes avant de retomber en douceur. Les longs habits des gens du désert se soulèvent au gré du vent et des mouvements de la foule. Les pieds se bousculent dans les rues encombrées par la population qui achève ses derniers préparatifs. La tempête arrive et il y a tant à faire. Elle est redoutable, cette tempête de sable et on s'inquiète qu'elle ne passe au-dessus de la ville. Une silhouette encapuchonnée fend la masse humaine qui grouille sur la place, pour profiter des dernières heures de calme avant la tempête, avant le chaos de sable et de poussières qui s'abattra sur les habitations. La silhouette ignore les rugissements et les préoccupations de la foule mugissante, elle la traverse, indifférente. L'homme, il doit s'agir d'un homme au vu de sa carrure, est arrivé aux portes du désert. Personne de la sait mais il vient chercher quelque chose. Quelque chose dont il a terriblement besoin. Alors, qu'importe la tempête qui vient, il continue. Au fond de lui il sent qu'il peut se mesurer à ce désert, qu'il est de taille à l'affronter. La foule tente de le retenir : on ne s'aventure pas, alors que la tempête de sable arrive bientôt, dans le désert. Il balaie les recommandations d'un revers de main et poursuit son chemin. La masse de gens agglutinés essaie de l'attraper, le retenir, en vain. Les doigts glissent sur son étoffe lisse, les bouches sont incapables de trouver les mots justes pour arrêter ce fou. Oui, fou, cela doit être cela. Qui d'autre irai ainsi se jeter dans la gueule du loup, pour se faire dévorer par l'immensité sableuse du désert ? Il franchit les portes, sans un regard en arrière. Puis ralentit un peu. La foule s'interroge : va-t-il se retourner et revenir à la raison ? Se rendre compte de sa folie et faire demi-tour ? Revenir du côté des sains d'esprits, le côté de ceux qui ne pénètrent pas dans un lieu où l'on est sûr qu'ils trouveront la mort au bout du chemin ? Non. Il poursuit son chemin.
Son épais manteau noir comme la nuit la plus profonde le couvre jusqu'au pieds et son immense capuche lui recouvre le visage. Malgré la chaleur du soleil de midi il ne le retire pas, si bien que l'on se demande si la créature cachée par cet imposant vêtement est bien humaine. Soudain, son bras se soulève du long de son corps et attrape quelque chose caché dans les plis de son habit : une outre à moitié vide. Ses doigts, qui pour la première fois s'extirpent de la manche où ils étaient dissimulés, dévissent habilement le bouchon de la gourde. Il porte le récipient à ses lèvres et boit de longues gorgées. Après avoir assouvi sa soif, il laisse tomber son outre vide sur le sol et continue son chemin vers ce qu'il est venu chercher. Le temps passe et l'horizon s'assombrit, non pas en raison du coucher de soleil puisqu'il doit être aux alentours de deux heures mais du sable qui se lève et assombrit le ciel couvrant la lumière du soleil. L'unique personne présente dans le désert continue pourtant, inarrêtable, comme si elle était équipée d'une boussole. Comment se dirige-t-elle sans soleil pour la guider ni aucun instrument pouvant l'aider ? Malgré l'épaisse couche de sable qui obstrue la vue du voyageur, le soleil réchauffe l'air et la température doit bien atteindre les 55°C. L'homme doit commencer à souffrir de la déshydratation à présent : il ne tiendra plus très longtemps désormais. Mais il s'entête à continuer, tout droit, vers ce qu'il vient chercher.
Il parvient devant une dune immense. Il faudrait la contourner, mais son corps est désormais trop faible pour le lui permettre. Il tente alors de l'escalader. La dune s'effrite sous ses pieds, ses mains ne parvienne pas à trouver de prises dans la masse mouvante de ce géant de sable. Il continue. Lorsqu'il arrive au terme de son ascension de la dune, il se redresse sur ses jambes et admire l'immensité du désert, que les préliminaires de la tempête de lui cachent pas encore. Il s'apprête à redescendre pour poursuivre son chemin mais ses jambes le trahissent et il roule et dévale la pente, qu'il a mis plus d'un quart d'heure à monter, en quelques secondes. Le voilà de l'autre côté de la montagne de sable. Il tente de se relever péniblement et frotte ses mains sur son visage dans une ridicule tentative d'ôter le sable, qui s'est immiscé dans les recoins de son visage. Comment peut-il lutter contre ce sable qui parvient jusque dans sa bouche, qui était pourtant fermée lors de sa chute ? La réponse est simple : il ne peut pas. Il ne peut pas lutter contre le sable qui se glisse à travers toutes les interstices de son habit et son visage, il ne peut pas non plus contre le soleil accablant, ni contre la déshydratation contre qui il doit lutter sans relâche pour ne pas s'écrouler par terre. Le désert le repousse, ne veut pas de lui. Le désert le chasse de son domaine. Le désert n'est pas fait pour les Hommes, surtout pour ceux qui pensent pouvoir se mesurer à lui. L'idiot s'est entêté alors il mourra, comme tous les autres idiots entêtés avant lui. Cela l'homme ne le sait pas, ou alors n'y prête pas attention croyant peut-être pouvoir déjouer le sort et se montrer plus fort que le désert, il continue donc, sur ses jambes qui manquent de le trahir à tout instant. Assoiffé et titubant sur ses jambes traitresses, il doit regretter à présent, de ne pas avoir écouté la foule connaisseuse et de s'être aventuré dans ce lieu sauvage. Il a un but, quelque chose à trouver, certes, mais les buts ne protègent ni de la chaleur épouvantable qui conduit à la déshydratation ni du sable vicieux qui s'infiltre partout et cache de dangereuses créatures en lui.
Soudain, dans les brumes de la tempête qui se lève, il voit un oasis. Un refuge. Un refuge où il trouvera de l'eau. De hauts palmiers verdoyants dont les feuilles bruissent sous le vent, d'autres palmiers encore dont les fruits sont si gros qu'ils pourraient éclater, une source et un bassin avec de l'eau, beaucoup d'eau. Il court du mieux qu'il peut en direction de l'abri salvateur. Ses jambes vacillent à peine, portées par l'espoir du liquide tant attendu. Mais, l'oasis commence à onduler, sa forme change, ondoie et il disparait. Un mirage, simple illusion qui lui fait perdre la tête. Le manque d'eau commence à lui jouer des tours. Si son corps n'était pas si vide d'eau, il se serait mis à pleurer de déception. Il se remet à marcher, plus doucement cette fois, affaibli par la soif. L'oasis revient le hanter plusieurs fois. Le refuge apparait pour le tourmenter à chaque fois que la soif n'est plus supportable et qu'il tombe à genoux prêt à se laisser engloutir par ce désert qui paraît vouloir sa mort. Il se relève alors, porté par un espoir incommensurable, pour s'avancer vers le source qui disparait aussitôt.
Quand la tempête se lève pour de bon, il est à bout de forces. Il se laisse glisser doucement sur le sable chaud sans que l'oasis revienne. Le sable qui ne faisait que voleter autour de ses chevilles commence à se soulever plus haut. Le ciel s'obscurcit rapidement. Une violente agitation s'empare du désert. La poussière et le sable qui se mélangent lui brulent les yeux mais il n'a plus la force de les fermer. Il n'a plus la force de rien ; bouger ne serait-ce qu'un orteil lui demande trop d'efforts. Alors il reste là, il attend. Il attend la mort sûrement, qu'elle vienne le prendre, avant que la vraie tempête qu'il aperçoit au loin, soit sur lui et qu'il ne meure enterré vivant. Que la faucheuse vienne et l'emporte rapidement. S'il pouvait se relever, il se mettrait à genoux pour supplier qu'on l'arrache à cet enfer. Il se sent stupide d'avoir cru pouvoir vaincre le désert. Il se rend compte, à présent, qu'il mourra pour cela, pour avoir pensé que lui, simple créature humaine et mortelle, pouvait lutter contre la force de la nature qu'est ce désert de sable. Son imbécilité lui saute au yeux mais il est trop tard, beaucoup trop tard... Une rafale de vent surgit et lui arrache sa capuche de la tête. Un visage en surgit. Anodin, passe-partout, absolument quelconque. Il pourrait être toi, il pourrait être moi ou lui. Ni beau ni moche. Ni vieux ni jeune. Avec un visage ni trop fin ni trop épais. Deux pommettes bien rondes. Des yeux marron comme la terre, banals. Une bouche fine, maladroite, comme si elle voulait se cacher dans le reste du visage de cet homme. Oui, il s'agit d'une homme, on le voit à présent. Sa barbe lui mange les joues et remonte jusqu'à ses cheveux, bruns eux aussi. Il n'a pas l'air d'un fou. Juste d'un homme qui pourrait être toi, moi ou lui. Pourtant, il est là, au milieu de ce désert qui semble vouloir sa peau. Il y est rentré et n'en sortira plus. Il le sait à présent, plus de doute pour lui, ce désert sera son tombeau. Cette immensité de dunes, son linceul. Il aura beau avoir lutté pendant des heures, pas de mort héroïque pour lui. Il mourra là, seul. Les gens se souviendront de ce fou, celui qui avait presque courut mourir dans les tréfonds du désert. Ils s'en serviront d'exemple : « Vous voyez les enfants, il y est allé, en pleine tempête de sable et il est mort ». C'est ce qu'il restera, dans la mémoire des gens, un fou. Oui, un fou.
La tempête rugit. C'est son heure. Il est temps pour le désert de reprendre ses droits. Elle recouvre tout. Le monde n'est que poussière et sable. Les plantes s'enracinent plus profondément encore. Les animaux s'enfouissent sous le sable, se cachent derrière des pierres ou usent de leurs capacités de survie. Les heures passent, interminables. Le sable finit cependant par retomber et l'astre du jour à réapparaitre pour son coucher. Les plantes retrouvent leur lumière chérie. Les animaux ressortent à l'air libre. Seul l'homme a disparu. Aucune trace de son cadavre. Rien. Le fou qui luttait contre les lois du désert a été avalé par les dunes. Cette place, inhospitalière pour ceux qui ne la comprennent pas, l'a dévoré. Il n'avait pas compris que le désert a des lois, il faut s'y conformer ou mourir. A présent il le comprend. C'était donc cela, les lois du désert...
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Les Lois du Désert
Short StoryUne nouvelle de 1800 mots Un homme mystérieux pénètre dans le désert sans explication, attiré par une force invisible. Alors qu'il avance, une tempête de sable se lève, le piégeant dans un tourbillon de chaos. Lorsqu'elle se dissipe, il n'est qu'un...